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Le 1er juin 1985 : nouvelle surprise !

C'est un samedi. J'arrive le soir chez mes parents à 22 heures, exténué.

Ma sœur Nour me surprend en me disant qu'on a téléphoné de Korachi -vieux quartier chrétien de Damas - pour me dire qu'un miracle s'y est produit. Je lui dis aussitôt:

- Si on me téléphone, veuille bien leur répondre que je ne suis pas là.

Puis, en moi-même, je me dis : «Ce que j'endure à cause de Soufanieh me suffit ! »

Je me repose un moment, prends un peu de nourriture, puis, me ravise sans savoir pourquoi, et je téléphone à Korachi en me disant : «S'ils m'ont réclamé, il faut bien répondre. » Pour toute réponse, j'entends :

- Père, de grâce, viens, car l'huile coule d'une grande icône de la Vierge !

Je n'hésite plus. Je contacte mon ami Nabil Choukair, qui vient aussitôt avec Nicolas Nazzour. Ensemble, nous allons au plus vieux quartier de Damas : Korachi. Mes parents y ont habité et bien d'autres familles. Il n'en reste plus qu'une petite dizaine, dont cinq qui habitent dans les appartements attenants à l'église, depuis que les gens ont été délogés des hauteurs du Golan, à la suite de la guerre de juin 1967.

La cour de l'église et l'église elle-même sont pleines de monde. Dans l'église, tout le monde prie, mais non sans un certain remous. L'émotion est à son comble devant la grande Icône de Notre-Dame du Perpétuel Secours, où l'huile coule, entraînant la poussière qui s'est accumulée sur le verre de l'Icône, puisque, depuis huit ans, aucune prière ni messe n'ont été célébrée dans cette église dédiée à Notre-Dame de l'Assomption.

La vue de cette icône toute pleine de poussière, où l'huile coule à hauteur du visage de la Vierge, a de quoi secouer les plus incrédules... La poussière, mêlée d'huile, devient boueuse.

J'invite quelqu'un à essuyer le verre «pour qu'il soit possible à la Vierge de nous voir et qu'il nous soit possible à nous aussi de la voir». Quelqu'un essuie donc le verre, un autre lui réclame le papier plein d'huile boueuse et le glisse dans la pochette de sa : chemise, bien respectueusement

La prière collective et les chants se poursuivent.

Je veux savoir ce qui est arrivé. Un jeune homme, du nom de Assad, me dit en tremblant que l'église est fermée depuis huit ans et qu'aucune prière n'y a été célébrée pendant tout ce temps. On leur a même dit qu'on veut la vendre. Et il y a quelques jours, on est venu, muni de l'autorisation de l'évêque du lieu, arracher une partie du marbre qui recouvre le sol, juste en face de la grande Icône d'où l'huile coule. Et ce soir, leur surprise est immense en constatant ce fait. C'est lui, Assad, qui a été le premier à le découvrir : il en semble traumatisé, d'autant plus, a-t-il ajouté, qu'il est communiste. La nouvelle court à travers le quartier et même la ville, et aussitôt les gens viennent, chrétiens et musulmans à la fois.

Je sais que l'église est malheureusement fermée depuis huit ans. Je sais aussi qu'elle a été mise en vente et qu'on la laisse lentement tomber en ruine.

Et pourtant, c'est l'église-mère de notre communauté, la première des églises grec-catholiques. Elle a été construite dans l'enceinte d'une maison arabe, bénévolement, par nos ancêtres dans la foi, en 1821. Du point de vue architectural et artistique, c'est un joyau.

L'huile coulera de l'image avec une certaine discontinuité pendant quatre jours, puis elle s'arrêtera définitivement.

Par la suite, je verrai Assad raconter à plusieurs reprises sa découverte de l'huile et, à chaque fois, il sera pris d'un tremblement qui frôlera quelquefois l'évanouissement. Depuis lors, il ne cessera de prier.

La prière continuera à l'église pendant plusieurs semaines. Mais la foule se réduira jour après jour. Tout cela aura cependant suffi pour que j'obtienne de mon évêque l'autorisation d'y célébrer à nouveau la messe. Et, enfin, ce sera l'évêque du lieu, Mgr François lui-même, qui viendra célébrer la liturgie le 15 août, jour de la fête de l'église.

On pavera de nouveau le sol de l'église, mais avec un pavement ordinaire. «Tant mieux, me dira l'un des responsables laïcs de notre communauté, Michel Sioufi, docteur en sciences économiques, cela restera pour commémorer l'événement et le rappeler à quiconque se demande pourquoi le pavé en marbre est ainsi défiguré. » Je trouve sa remarque très intelligente.

En outre, le comité laïc de la communauté grec-catholique de Damas décidera avec le patriarche et l'évêque de restaurer l'église. Et elle le sera.

Plus important : un prêtre sera nommé pour y célébrer la messe tous les vendredis -jours fériés. C'est le P. Élias Sargi, originaire du quartier.

Une question se pose ou je me la pose : «Y a-t-il un lien quelconque entre Notre-Dame de Korachi et Notre-Dame de Soufanieh ? »