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Un poète et un chantre pour la Vierge Marie

La prière à Soufanieh est toujours accompagnée de chants. D'ailleurs, les hymnes sont très nombreux dans les liturgies orientales, aussi bien orthodoxes que catholiques. Nombreux et beaux. Mais l'hymne à la Vierge par excellence, c'est l'acathiste - c'est-à-dire celle qu'on célèbre debout - qui se chante les cinq premiers vendredis du Carême.

Cependant, la prière à Soufanieh est simple et spontanée, elle donne la possibilité à qui le désire d'offrir ce qu'il lui plaît à la Vierge.

L'un de ces volontaires a été le frère aîné de Nicolas. Il s'appelle Awad. Il était quasiment analphabète et simple manœuvre dans une entreprise d'ascenseurs. Marié et père de trois petits enfants, dont l'aîné avait 7 ans au début du Phénomène, Awad, lui, en avait 45.

Un jour, il nous surprit par un chant inspiré de la première apparition de la Vierge et de son premier message. Le chant a été adopté d'emblée sans qu'on sache qui l'avait composé, et lentement, il est devenu un peu comme l'hymne de Soufanieh, qui se chante régulièrement depuis des années, à la fin de chaque prière. Des dizaines de milliers de personnes désormais le chantent, et pas seulement en Syrie, comme un signe de ralliement - si je puis m'exprimer ainsi - de Soufanieh. Ce chant commence par les mots suivants, devenus son refrain :

«La Vierge à Soufanieh nous rassemble tous les soirs Nous prions pour la paix et pour l'unité chrétienne. »

Awad continuera sur sa lancée. Ses mots sont toujours très simples, ne manquant pas de fautes grammaticales. Mais ils seront choisis pour exprimer l'expérience et le mystère que les habitués de Soufanieh vivent depuis des années. Quant à la musique, elle sera ou de son cru tout aussi simple et prenant - ou inspiré de chants bien connus, pour en faciliter l'usage. Finalement, Awad, jusqu'à la veille de sa mort qui surviendra peu après la fête de l'Annonciation 1987 - j'y reviendrai.

…..continuera de composer et de préparer ces chants avec une femme mariée, grande dévote de la Vierge, Mme Carmen Bitar, dont la régularité à la prière de Soufanieh est et sera toujours exemplaire et n'a d'égale que sa discrétion et son effacement.

Et lentement, Awad, sans l'avoir voulu, est devenu le poète de Notre-Dame de Soufanieh.

Mais la Vierge semblait avoir besoin d'un chantre attitré. Elle le choisit le 30 décembre 1984.

Il s'appelle Wadih Assafi. Il n'est pas un Arabe, grand ou petit, au monde, qui ne le connaisse et ne l'admire. C'est un Libanais maronite qui tient la vedette du chant arabe depuis pas moins de cinquante ans. Sa voix, même aujourd'hui -j'allais dire : surtout aujourd'hui - laisse rêver.

Il vient à Damas, dans le cadre de ses tournées habituelles, pour le Nouvel An 1985. En même temps, se trouve à Damas son élève et ami, le chanteur libanais Tony Hanna. Wadih se plaint alors d'un mal de gorge qui pourrait compromettre sa soirée. Aussi, Tony demande-t-il à Myrna et Nicolas d'aller visiter Wadih Assafi, à son hôtel même, au Méridien, et de prier avec lui. Myma et Nicolas n'hésitent pas une seconde, bien que Tony Hanna leur ait dit que Wadih Assafi est réticent au Phénomène de Soufanieh.

A l'hôtel, Myma offre à Wadih Assafi une image de la Vierge, format carte postale, qu'il glisse dans la poche de sa robe de chambre. Puis il s'agenouille spontanément et demande à Myma de prier en posant sa main sur sa tête. Tout aussi spontanément, elle le fait. Et voici que, tout à coup, sa main est prise d'un tremblement, suivi aussitôt d'un abondant écoulement d'huile sur la tête de Wadih Assafi. Ce dernier, très ému, lui présente sa gorge en lui disant :

- Un peu d'huile ici, je te prie : c'est ma ressource !

Puis il retire l'image de la poche de la robe de chambre, pour demander à Myrna de lui écrire un petit mot dessus, et quelle n'est pas sa surprise quand il la voit toute pleine d'huile ! Il se met à pleurer, ainsi que Tony Hanna. Puis, tous les quatre se mettent à chanter à genoux des cantiques à la Vierge.

Le lendemain, il vient dans la soirée à Soufanieh, chante devant l'Icône miraculeuse de sa voix étonnante, puis, au salon, il raconte ce qui s'est passé avec lui à l'hôtel, tandis que Nabil Choukair, le cameraman, filme cette rencontre.

C'est pour lui le début d un nouveau chemin avec le Seigneur et la Vierge.

En fait, il a toujours été profondément croyant, et il a, dans son vaste répertoire, des chants chrétiens, mais aussi des chants religieux qui n'ont rien de spécifiquement chrétien, et qui touchent tout Arabe, Même apparemment indifférent au phénomène religieux, et il y en a. Son secret est dans une voix qui ne laisse personne insensible.

Cependant, depuis cette rencontre avec Notre-Dame de Soufanieh, Assafi commence une route vraiment neuve, où il ne se lasse pas de rechercher des textes, tels que les psaumes ou bien des poèmes qu'il " commande" à des amis poètes, sur tel ou tel thème. Des textes de l'Évangile le solliciteront aussi, ainsi que saint Augustin. Éloignant tout souci d'ordre financier, il chantera simplement Jésus et la Vierge. Dans un monde où Dieu se fait de plus en plus absent, soit directement, soit indirectement, à cause d'un fanatisme religieux qui risque de tout compromettre, il recherchera un langage commun qui puisse être accessible, voire désiré par tout homme religieux.

Il débutera ses premiers chants à Notre-Dame de Soufanieh, par une trilogie composée par un jeune poète populaire de Sednaya, du nom de Riad Nijmé. La foule amassée, la nuit du 26 novembre 1985, à Soufanieh, les entendra pour la première fois chantés de sa voix, mais sur enregistrement. L'un de ces cantiques célèbre cet anniversaire même. En voici le début et le refrain :

«Je viens en ta fête arroser de fleurs les routes de l'humanité et te supplier, ô Mère de la Lumière, de rester à Soufanieh. »

Après bientôt six ans, il aura déjà à son actif un répertoire de chants religieux vraiment impressionnant, et qui fera le tour des cinq continents en un temps record.

Pour clore ce chapitre, je veux citer un fait significatif.

L'été 1985, je rendrai visite à un ami, Joseph Abou-Hadid, ingénieur en génie civil, dans sa villa à une trentaine de kilomètres de Damas. Je le trouverai avec ses parents, sur leur terrasse, écoutant, comme par "hasard", les nouveaux chants religieux de Wadih Assafi. Je m'en réjouirai d'autant plus que je suis venu à l'improviste. Cet ami m'accueillera avec joie et étonnement. Je suis venu le solliciter pour un service de quelques minutes, et nous voici embarqués dans un échange de trois heures qui nous conduira vers bien des problèmes, aussi bien religieux que politiques. Cependant, le témoignage de cet ami, sur l'influence des chants de Wadih Assafi dans sa vie, mérite d'être noté mot pour mot :

- Père, me dira-t-il, j'étais un dinosaure endormi, et cette voix et ces mots m'ont réveillé. Quel immense besoin nous avons dans notre monde arabe d'un tel langage ! Je te prie de dire à Wadih Assafi qu'il multiplie de tels chants.