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Visite du P. Pierre Boz à Damas du 4 au 15 juillet 1984

Le P. Pierre Boz est un ami de longue date, puisque notre première rencontre remonte à Noël 1955, à Paris.

Au début du Phénomène, il m'a écrit et je lui ai dit ce qu'il en était, en témoin. Puis ce fut le silence.

Deux jours avant mon retour à Damas, il m'invite, le 22 juin, à déjeuner avec lui à l'archevêché. Nous passons ensemble trois bonnes heures, avant, pendant et après le repas. Durant tout ce temps, il ne me pose aucune question sur Soufanieh. J'en suis étonné et peiné. Finalement, je me lève pour prendre congé, et c'est alors qu'il me dit

- Eh ! Dis donc, tu ne m'as rien dit de Soufanieh !

- Je te dirai un mot seulement : viens et vois !

- Pourquoi pas !

Le lendemain, il m'assure qu'il viendra le 4 juillet à Damas.

Le mercredi 4 juillet, je l'accueille à l'aéroport de Damas. J'ai prévenu Mgr François, qui le connaît bien, de son arrivée. Je tiens à ce qu'il loge au patriarcat, de peur qu'on ne dise : «Le P. Zahlaoui l'a cuisiné ! »

Le soir même de son arrivée, il vient à Soufanieh. Myrna et Nicolas sont à Lattaquié, où Nicolas a commencé - enfin - son travail : le Phénomène l'a retardé, à l'égard de son projet de restaurant à Lattaquié, pendant un an. Lattaquié se trouve à 365 km de Damas, sur le littoral.

De toute la visite du P. Pierre Boz, une seule chose m'importe : le P. B oz a pris la peine - et l'argent - de venir à Damas "voir", et la Vierge le récompensera par deux fois :

La première l'apparition de l'huile sur les mains de Myrna, le 10 juillet.

La deuxième l'apparition de l'huile sur une image de Notre-Dame de Soufanieh, le soir du mercredi 11 juillet.

Voici le déroulement des faits : au patriarcat grec-catholique, où le P. Boz est accueilli, il entend bien sûr tous les échos possibles sur Soufanieh. Il est parfaitement libre de ses mouvements. Il connaît tous les prêtres du patriarcat et connaît suffisamment bien l'arabe et la ville de Damas, pour se permettre toute liberté d'aller et de venir.

Le P. Boz vient tous les jours à Soufanieh, bien avant la prière, et y reste bien après. Il converse avec qui il veut. Dès le premier soir, il manifeste son impression profonde à propos de la prière, chaleureuse et simple. Mais il ne cache pas que ce qu'on lui raconte est difficilement acceptable pour son intelligence d'Occidental, bien qu'il ne mette pas en doute la sincérité des témoins.

Dès son arrivée, il exprime son désir de faire la connaissance de Myrna et de Nicolas.

J'ai donc demandé à Nicolas par téléphone s'il voulait bien nous envoyer Myrna. Elle vient sans hésiter, le lundi soir, 9 juillet.

Le mardi matin, un ami, Adib Mousleh, a proposé au P. Boz de passer la journée en notre compagnie à Bloudane, villégiature à 50 km de Damas. Je préviens le P. Boz de la présence de Myma : il veut la voir. Myrna est comme d'habitude aussi simple que gaie. Au bout d'une heure d'échange, le P. Boz demande un moment de prière avec Myrna. Nous entrons tous dans la chambre où se trouvait, à l'origine, l'image miraculeuse. Au bout d'un moment, tout le monde sort, mais je m'attarde dans la chambre à prier, puis je sors à mon tour et je vois le P. Boz penché sur les mains de Myrna, les essuyant avec respect, tandis que Myma est assise et a ouvert les deux mains et les paumes des mains. Je regarde attentivement le P. Boz et lui dis

-Alors, Père ?

Il ne répond pas, mais se contente de faire un mouvement des lèvres et des yeux exprimant rien moins que l'étonnement. Puis il enroule le coton dans un morceau de plastique et sort sans rien dire, après s'être incliné.

En voiture, je lui dis : - Mais, Père, qu'est-ce qui s'est passé ?

- C'est étonnant. Je priais, puis je voulus sortir, quand Myrna me tendit les deux mains et serra ma main. Je sentis alors quelque chose de gluant remplir ma main, et en sortant de la chambre, je me rendis compte que c'était de l'huile. J'aurais voulu lui baiser les mains, mais j'ai eu honte.

Mercredi soir, à 21 heures, je passe à Soufanieh et trouve Awad, frère aîné de Nicolas, qui me dit aussitôt :

- Père, tu aurais dû être ici pour entendre le P. Boz crier, en voyant l'huile couler sur l'Image : «Cela vient de mon Dieu ! »

Awad me raconte que l'huile a coulé de la bouche de la Vierge, tandis que le P. Boz priait avec Myma et un grand nombre de personnes. J'exulte de joie. Je prie un moment pour remercier le Seigneur et la Vierge. Mais aussi, je suis on ne peut plus triste : voici un prêtre venu de France, et voici des dizaines de prêtres à Damas même qui refusent catégoriquement le Phénomène et s'interdisent de venir à Soufanieh!

Le lendemain, je dois aller avec le P. Boz à Alep, pour rencontrer la miraculée Alice Benlian, et son médecin, Pierre Salam. Le P. Boz est exact au rendez-vous. Je lui demande s'il a passé une bonne nuit, faisant semblant d'ignorer ce qui s'est passé la veille.

- Pas du tout, dit-il.

Je lui demande : - C'est la chaleur ou les moustiques ?

Bien sûr, il nie l'un et l'autre, et me raconte, tout ému, ce qui lui est arrivé. Il me dit entre autres qu'il a demandé une image après la prière. Quelqu'un a sorti une image de sa poche, toute sèche, bien sûr, puis il a demandé à Myrna de prier avec lui dans la chambre, et tout le monde entra avec eux. Myrna tenait l'image et elle avait les deux mains levées à la hauteur du visage. Le P. Boz se tenait à côté d'elle et ne cessait de dire en son cœur : «Seigneur, je ne veux pas de miracle», quand, tout à coup, l'huile se mit à couler de la bouche même de la Vierge que tenait Myrna. Il en fut si ému qu'il se mit à dire en arabe maghrébin : «Cela vient de mon Dieu ! » (autrement dit : c'est l'œuvre de mon Dieu). Aussitôt, le P. Malouli lui a dit :

- Père Boz, comme l'huile a coulé de la bouche de la Vierge, il faut que la vérité coule de ta bouche quand tu rentreras à Paris.

Le P. Boz emporta au patriarcat l'image encadrée - car les Nazzour lui avaient acheté aussitôt un cadre pour l'image - et il passa la nuit avec l'impression d'avoir la Vierge à côté de lui, voire qu'elle allait lui apparaître d'un moment à l'autre.

Je pose au P. Boz la question de savoir pourquoi il a dit : - Seigneur, je ne veux pas de miracle !

Il me répond :

- Parce que moi, Occidental, je n'arrivais plus à supporter cette atmosphère.

À Alep, nous allons directement chez le docteur Pierre Salam, sans rendez-vous. L'échange entre eux deux se poursuit pas moins d'une heure et demie. Tout y passe : religion, sciences, philosophie, sociologie, etc. Pour le docteur Salam, la guérison de Mme Benlian ne tient pas du miracle, mais du grand miracle ! En sortant, le P. Boz ne me cache pas l'impression profonde que cette rencontre lui laisse.

C'est ensuite une visite, sans rendez-vous non plus, à Mme Benlian. Accueil chaleureux. Son arabe "cloche", mais elle se fait bien comprendre, et je me charge de la traduction. Depuis sa guérison, Mme Benlian, bien qu'arménienne-orthodoxe et ne connaissant pas le chapelet avant Soufanieh, s'est habituée avec sa famille et une famille voisine, à prier le chapelet tous les matins avant le départ des hommes au travail, suivi d'une lecture de l'Évangile.

Le lendemain matin, jeudi, nous allons à Lattaquié voir Nicolas, car le P. Boz tient à faire sa connaissance. Or, Nicolas vient de passer une nuit blanche à cause de son travail, et il est en outre allé nous attendre à la gare, mais le train ayant un retard d'une heure et demie, il est rentré chez lui. Moi-même, j'ai dit au P. Boz ce qu'était Nicolas avant le Phénomène, tel qu'il s'est lui-même décrit à moi, car je ne le connaissais pas avant. Nicolas était très, très loin de tout ce qui s'appelle vie religieuse ou église, au point d'avoir voulu se marier "chrétiennement, mais à la maison et sans prêtre".

De cette rencontre avec le P. Boz, je retiens ce mot de Nicolas en réponse à une question :

- Avant ce Phénomène, je mourais de peur rien qu'à l'évocation de la mort, car j'étais persuadé que la mort signifiait la fin de tout... Mais maintenant, la mort c'est le commencement de tout ! Il m'arrive même de la souhaiter pour voir la vérité totale, dont le Phénomène m'a permis de voir une minime partie !

Le 15 juillet, le P. Boz rentre à Paris.

Un mois après, le P. Pierre Khodari, du clergé de Damas, me remet une cassette du P. Boz, intitulée "Retour de Damas, le 30 juillet 1984". Il s'agit d'une causerie, donnée sur Radio Notre-Dame, à Paris, composée de trois parties, la dernière étant consacrée à Soufanieh. Deux choses retiennent mon attention dans cette cassette :

La première : l'aveu du P. Boz, à propos de l'huile qui coula de l'Image au moment où il a dit. «Seigneur, je ne veux pas de miracle ! » Il y reconnaît qu'en tant qu'Occidental, il a résisté à l'atmosphère de Soufanieh, et qu'il a éprouvé une tension intérieure énorme et pénible qu'il doit avouer à ses auditeurs.

La deuxième : la manière dont il termine sa causerie : «Je dois dire que j'avais été appelé à Damas pour cela. Je suis revenu de Damas et je reste profondément bouleversé par ce qui se passe dans ce pays. Je ne veux pas avancer le jugement de l'Église. Mais en tout cas, je reste bouleversé et je crois que je prie mieux le Seigneur qu'avant. »

Cette cassette, je l'ai toujours, et même j'en ai fait faire au moins une cinquantaine de copies que j'ai envoyées à de nombreuses personnes un peu partout dans le monde, dont des évêques et des théologiens.

J'ajoute que l'un d'entre eux - Mgr Georges Hafoury, évêque syriaque-catholique de la ville de Hassaké, au nord-est de la Syrie s'en servira pour son article sur Soufanieh, publié dans la revue Stella Maris d'octobre 1986. Ce sera d'ailleurs le premier évêque à oser publier quelque chose sur Soufanieh, dans une revue non arabe.