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"Pour la première fois, je lis le Coran en croyant et je prie"

A la mi-novembre 1983, je reçois, un jour, très tôt le matin, un coup de téléphone d'un jeune musulman du nom de Samir Younès. Je le connais depuis près d'un an et il vient fréquemment me voir, me prenant un peu pour ami et confident. En fait, il ne m'a jamais parlé de questions d'ordre spirituel.

Il nous aide dans bien des travaux, avec un désintéressement exemplaire, avec les jeunes de la paroisse universitaire. Il a fait les Beaux-Arts à Damas. C'est un surdoué en musique, en poésie, en chant, art plastique et peinture. A l'époque, il dessine des toiles immenses pour servir de fond à la "Salle des Bras", au sous-sol de l'église Notre-Dame de Damas. Il passe fréquemment les journées tout seul. Ce travail est gratuit.

Au bout du fil, la voix est inquiète. Il sollicite une rencontre immédiate. Je l'invite à venir.

Il est blême. Je ne l'ai jamais vu aussi inquiet, les yeux hagards. Quelque chose, me dit-il, lui est arrivé la veille au soir, qui l'a profondément troublé.

Il avait fréquemment entendu des jeunes parler de Soufanieh. Il n'y avait prêté aucune attention : il était communiste, et avait la tête bourrée de marxisme. C'est la première fois qu'il s'en ouvre à moi.

Puis il a entendu les jeunes dire que l'huile coule quelquefois des images de la Vierge. Il est resté sourd à cela aussi.

Mais à force d'en entendre parler, sa curiosité s'est éveillée et il a voulu "voir" de ses propres yeux. Il a demandé à Nabil Maarri de l'y conduire. Là, Nabil lui a donné une image, format carte postale. Il la tenait en main et observait les gens prier. Soudain, l'huile parut sur "son" image. Il a senti comme un tremblement de terre le secouer. Il est resté un moment livré à cette secousse, puis il s'est retiré chez lui, l'image à la main.

A la maison, il est monté au grenier qui lui sert d'atelier de peinture et est resté un moment à réfléchir. Les gouttes d'huile ont déchiré tous ses concepts. Son univers marxiste, fermé sur tout autre monde, a croulé d'un seul coup. D'où peuvent venir ces gouttes d'huile ? Par quelle puissance?

Il est tout pâle, mais calme, bien que fort ému. Je lui dis - Finalement, qu'as-tu fait ?

- J'ai fait les ablutions rituelles. J'ai lu le Coran, sourate Myriam, puis j'ai prié.

- Depuis quand, lui ai-je demandé, n'avais-tu pas lu le Coran et n'avais-tu pas prié ?

- Je n'avais jamais lu le Coran en croyant et, pour la première fois, je prie en croyant.

Samir continuera d'aller à Soufanieh, et il y laissera trois grandes images de la Vierge et de Jésus, peintes sur du cuir artificiel, toujours accrochées à Soufanieh.

Chose intéressante à signaler : Samir peindra une image de la Vierge qu'un fervent de Soufanieh, Saba Kouba, fera graver sur du cuivre. Cette image en cuivre de la Vierge sera accrochée à Soufanieh... Un jour, la veille d'une fête de la Vierge, l'huile coulera de cette image.