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Deuxième entrevue avec Mgr François Abou-Mokh

Le matin du mercredi 29 décembre 1982, je reçois un appel téléphonique du P. Farès Ma'karon'. Il me prévient que Mgr François est agacé par mon comportement et celui du P. Mitri Athanase. Je conviens avec le P. Farès de nous retrouver dans quelques minutes chez Mgr François, sans qu'il lui fasse sentir notre accord. Puis je téléphone à Mgr François et me rends immédiatement à son bureau.

Le P. Farès m'y a précédé. Monseigneur m'accueille amicalement comme d'habitude, mais avec une nuance de reproche dans la voix.

- Monseigneur, je suis plongé dans le phénomène de Soufanieh : je poursuis mes observations, comme tu me l'as recommandé.

- Oui, mais tu exagères, Père Élias.

- Monseigneur, si tu savais ce qui s'y passe, tu ne trouverais aucune exagération à ce que je fais.

-A ce point ? - Tout à fait. -Alors, raconte-moi tout.

Je lui demande la permission de le faire à huis clos, afin que notre entretien ne soit pas interrompu. Et en présence du P. Farès, je lui dis ce que j'ai vu de mes propres yeux à Soufanieh. L'évêque en est étonné. Il ne me cache pas que ce qu'on lui a rapporté diffère de beaucoup de ce qu'il vient entendre. Je sais que la campagne menée contre le phénomène a atteint son paroxysme chez des prêtres eux-mêmes. Je certifie à Monseigneur, sans m'être référé au P. Mitri Athanass, que celui-ci ne publiera rien sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire.

Je prie aussi Mgr François de contacter Sa Béatitude le patriarche Hazim, pour le convaincre de la nécessité de recevoir Myrna et Nicolas, afin qu'ils se sentent quelque peu compris, -ne serait-ce que sur le plan humain. Leur situation devient impossible, humainement parlant. En effet, depuis plus d'un mois, ils peuvent à peine dormir et manger. La nuit, leur lit est toujours occupé par des malades, des enfants surtout. Leur maison est devenue, nuit et jour, littéralement, propriété commune. Et les gens ne cessent de frapper à la porte, à toute heure du jour et de la nuit. Et tout cela dans la plus grande gratuité et dans une disponibilité continue et humble à ce qu'ils considèrent comme un appel divin, contrairement aux nombreuses et inimaginables calomnies qui courent sur leur compte à tous deux et sur le compte de leur famille.

Mgr François téléphone à l'instant au patriarcat grec-orthodoxe. Un rendez-vous lui est fixé pour le lendemain matin à 8 heures.

Au cours de cette même entrevue, Mgr François m'informe qu'on a porté plainte contre moi. Aussi s'est-il forcé d'assister à l'une des messes que j'ai l'habitude de célébrer les dimanches après-midi. Il a pris place dans un coin qui lui permettait d'entendre l'homélie, sans me donner la possibilité de le voir. Je lui reproche alors de recourir à de tels moyens, car il me connaît assez pour savoir que je dis toujours ce que j'ai à dire où que ce soit, du moment que je crois de mon devoir de le dire. Et je lui demande s'il a des reproches à me faire touchant mes homélies.

-Absolument pas !

Notre entretien prend lentement une tournure plus intime. Je confie à Mgr François, entre autres, ceci :

- A la lumière de cet étonnant mouvement de foi qui s'est déclenché en peu de jours grâce à Soufanieh, je touche du doigt l'inutilité de tout le travail que je mène et j'éprouve la nécessité de me livrer uniquement à la prière dans un couvent retiré.

- Surtout pas, me réplique Monseigneur. Je t'en avertis : ici, nous avons besoin de toi. Et si le Seigneur te veut voué à la prière, il saura s'y prendre un jour.

C'est, à tous égards, on ne peut plus clair.

Or, le soir, quand je vais à Soufanieh, une belle surprise m'y attend.

Nicolas et Myma m'apprennent que Sa Béatitude Mgr Hazim les convoque pour le lendemain, jeudi, à 9 heures du matin, donc après l'entrevue avec Mgr François.

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1. Le P. Farès Ma'karon dirigeait alors le petit séminaire grec-catholique à Damas.

2. Le P. Mitri Athanass, curé grec-catholique de la paroisse Saint-Jean Damascène, à Damas.