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Nouvelle guérison : vendredi 17 décembre 1982

Le matin du vendredi 17 décembre 1982, j'ai rendez-vous chez l'ingénieur Georges Farah, au quartier de Tijara. Son beau-frère Sabet Salem, une vieille connaissance, est là. Tout notre dialogue est fixé sur le phénomène de Soufanieh. Quelques jours auparavant, Sabet s'était rendu à Soufanieh et je l'y avais rencontré. Il m'avait dit :

- Père, je suis venu pour essayer de comprendre ce qui se passe, parce que je sais que tu y es impliqué.

Ce matin donc, Soufanieh accapare toute notre conversation.

Georges et Sabet ont un esprit scientifique qui les éloigne de la pratique traditionnelle. Cela n'empêche pas entre nous une affection vraie. Le phénomène leur pose question, mais une question plutôt inquiétante pour le cas où il s'avérerait faux ou naturel.

Je comprends parfaitement leur attitude, placés que nous sommes au milieu d'une majorité écrasante de non-chrétiens. Mais cela ne m'empêche pas d'être réaliste, comme ils l'exigent et je tiens à ce que, au nom de ce réalisme même, on ne laisse pas la peur obnubiler la raison. Il est un fait : de l'huile coule de l'image. Cela nécessite une explication scientifique. Si l'explication scientifique s'avère insuffisante, voire impuissante, il est indispensable de recourir à autre chose. Quoi? Il faudra le voir à la lumière de l'ensemble du phénomène, dans ses développements éventuels.

Au Bout d'une heure et demie, ils me ramènent à Soufanieh en voiture. Une grande foule se bouscule devant la porte. J'invite Georges et Sabet à entrer. Ils hésitent un moment, puis s'y décident.

Au salon, Nicolas converse avec une femme paraissant la cinquantaine.

- Tu arrives à temps, Père, me dit-il. Écoute le récit de cette dame.

Saluts habituels. - Père, j'étais malade, dit-elle, et la Vierge m'a guérie.

Avant de la laisser poursuivre son histoire, je lui dis - Un instant, s'il te plaît, Madame : il faut que je note tout.

Je saisis le carnet dans lequel nous enregistrons les faits les plus marquants.

- Ton nom, s'il te plaît, Madame ?

- Ghalya Armouche. Mon mari s'appelle Hnein (Jean) Saloumé. J'habite à Kassaa, au numéro 9 de la rue Nawrass, en face du restaurant Abou-Kamal Fils. Je souffrais d'une douleur insupportable à la main droite. Il y a deux mois, on m'a emmenée d'urgence à l'Hôpital Français. Le docteur Toutounji m'y a soignée.

Je note tout. Georges et Sabet sont toujours là. Cette femme poursuit :

- Il y a quelques jours, je souffrais tellement que je ne pouvais plus bouger la main, ni supporter qu'on la touche. Or, hier soir, ma fille m'a invitée à visiter avec elle la Vierge de Soufanieh. Je ne pouvais vraiment pas l'accompagner, mais je lui demandai de m'apporter un morceau de coton de "chez la Vierge". Effectivement, à son retour, elle me remit un morceau de coton. Je souffrais terriblement. Je glissais le coton dans la manche de ma chemise de nuit, priais et m'endormit. La nuit, j'eus un rêve : une dame très belle me poussait de l'épaule et me disait : «Lève-toi, tu n'as rien. » Le matin, surprise générale à la maison : la douleur avait complètement disparu et je suis venue remercier la Vierge.

Tel est le récit de Mme Ghalya Armouche.

Je me retourne vers Georges et Sabet et leur dis

- Ceci est pour vous.

Je remercie Mme Saloumé et lui promets de lui rendre visite ultérieurement.

Cette visite, je la ferai précisément le 27 décembre 1982, en compagnie de Mme Hind Maatouk, médecin et femme du docteur Moussa Hanna, et du docteur Élie Barsa. Mme Saloumé n'était pas chez elle. Sa belle-fille me reconnaît. Je l'interroge sur la santé de sa belle-mère. Elle m'assure qu'elle ne se plaint plus d'aucun mal. Je m'enquiers de la nuit où Mme Saloumé a été transportée d'urgence à l'hôpital, ainsi que de la radiographie qu'on lui a faite cette nuit-là. Je demande la radio : on me la remet.

Le docteur Hind et moi-même prenons rendez-vous, par téléphone, avec le docteur Toutounji, et nous nous rendons directement à l'hôpital. Mais le docteur Toutounji tardant à venir, le docteur Hind Maatouk est obligée de s'en aller. J'attends donc seul dans l'allée, à l'entrée de l'hôpital. Le docteur arrivé, je lui montre la radio et sollicite son avis sur l'état de la malade, sans lui donner le temps de comprendre le but de ma visite. Il s'en souvient très bien, examine la radio et dit:

- La pauvre : elle est condamnée à la paralysie.

Je lui demande s'il est possible de lui faire faire une articulation artificielle.

- Chez nous, non, répond-il. Mais si ces gens sont aisés, peut-être pourra-t-on le faire en Europe.

Il ajoute :

- De toutes façons, dis-lui de venir me voir demain.

- Je crois qu'elle n'a plus besoin de toi, Docteur. Il s'est trouvé un médecin qui l'a guérie.

- Que dis-tu, Père, s'exclame-t-il ? - La Vierge l'a guérie, Docteur!.

Il appelle alors à haute voix son collègue, Joseph Nasrallah, directeur de l'hôpital, qu'il voit venir de loin :

- Eh, docteur Joseph, écoute donc ce que raconte le P. Zahlaoui

Il lui redit à son tour ce qu'il vient d'entendre.

- Va donc voir le général Moustapha Tlass, lui répond le docteur Nasrallah. A tout bout de champ, il ne fait que parler de l'huile qui coule de l'image de la Vierge.

Nous parlons quelque peu sur l'huile, puis le docteur Toutounji me dit :

- Quand même, Père, qu'elle vienne me voir demain à 9 heures.

Je reviens aussitôt chez Saloumé, pour prévenir Mme Saloumé du rendez-vous. Cette fois, c'est elle qui m'ouvre la porte et, me serrant la main avec force, elle me dit :

- Père, sois le bienvenu. Maintenant, je peux faire du catch !

Nous nous accordons un brin de conversation avec le mari et nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain.

Le mardi 28 décembre 1982, je me rends donc chez les Saloumé. Les docteurs Hind Maatouk Hanna et Élie Barsa m'accompagnent. Mme Saloumé vient avec nous à l'hôpital, accompagnée de son mari. Avant même de l'examiner, le docteur réclame une radio. C'est rapidement fait, à l'hôpital même. Le docteur compare les deux radios, puis il procède à un examen méticuleux. Il prie ensuite Mme Saloumé de sortir avec son mari du cabinet et de nous attendre un moment.

- Alors, docteur ?

- La calcification a augmenté, répond-il. - Mais il y a mouvement !

Le docteur fait alors remarquer que le bras ne réussit pas une position horizontale à cent pour cent, tandis que tout le reste du mouvement est normal.

- Docteur, tu as bien dit hier que la main était irrémédiablement perdue...

- Oui, oui, mais peut-être qu'avec la disparition de la douleur..., dit-il.

- Docteur, je ne suis pas médecin, mais je sais que le mouvement dépend non de la douleur, mais bien de la position des os. Et hier, tu m'as dit que tu étais prêt à me confirmer tes dires par un certificat écrit.

- Père, attendons un peu, est sa réponse finale.

Il est évident que le docteur Toutounji refuse de prendre position. Pourtant, hier encore, il était prêt à le faire, mais sur l'état désespéré du bras. Nous partons, les docteurs Hind, Élie et moi-même. Le comportement du docteur Toutounji m'irrite.

- Pour ma part, me dit docteur Hind, je crois que cette guérison est miraculeuse, mais, n'étant pas spécialiste orthopédiste, je ne peux valablement en témoigner.

- Cela ne fait rien, toute chose viendra en son temps !