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Première et "double" guérison à Soufanieh

Le jeudi 16 décembre 1982, j'arrive à la "maison de la Vierge", vers 11 heures. Même affluence, à l'extérieur comme à l'intérieur. Dans le salon, un homme d'une quarantaine d'années parle avec une assurance péremptoire, prétendant que la science a tout expliqué et que "ces choses-là" n'ont plus de raison d'être. Je m'informe et apprends qu'il est médecin du ministère des Transports et s'appelle Jamil Marji.

Je me demande s'il faut entrer en discussion avec lui. Mais, vu tout ce que j'ai enduré au cours de débats, de discussions, particulièrement avec les prêtres, je me sens porté à n'engager aucun dialogue avec lui. Je demande :

- Depuis quand est-il ici ? - Depuis une heure.

Je me dis alors : «Laisse tomber, il ne tardera pas à s'en aller ! »

A ce moment précis, j'entends pousser des cris quasi hystériques en provenance de la "chambre de la Vierge". J'y cours. Je m'arrête sur le seuil et vois une femme tout enveloppée de noir, à genoux, face à l'image, gesticulant des deux mains et poussant des cris incompréhensibles. On dirait qu'elle a la langue liée.

Toutes les personnes présentes la fixent des yeux, certaines pleurent, d'autres crient : « Vierge ! »

Ou «Elle est guérie ! »

Un jeune homme se tient debout, juste derrière elle. Je me déchausse, entre et lui demande s'il connaît cette femme.

- C'est ma mère, répondit-il.

Je le prie de la conduire au salon. Il la relève et la conduit au salon. En sortant, la femme s'efforce de dire quelque chose aux gens, tout en agitant les bras. Mais elle ne réussit qu'à émettre un son anormal. Il en est de même au patio et au salon, où elle s'assied.

Je me tiens au milieu du salon avec son fils. Je m'informe auprès de lui de sa maladie. Il me répond qu'elle est atteinte de paralysie à la main droite par suite d'une calcification de l'épaule. Je lui dis :

- Il semble que Dieu l'ait guérie. Je te prie de nous apporter un rapport du médecin traitant, qui nous permette de la suivre pour surveiller son état.

- Ce n'est pas la peine, me dit-il. Hier, j'étais avec elle chez le docteur Samir Roumani, et voici le rapport.

Il sort de sa poche un papier, en tête duquel est imprimé le nom du docteur Samir Roumani. Je veux le lire, mais une personne à côté de moi me dit :

- Tu permets, Père ?

Je me retourne : c'est le docteur Jamil Marji lui-même. Je ne l'avais pas remarqué debout à côté de moi. Je lui dis aussitôt :

- Mais, bien sûr, Docteur, c'est ton affaire. Moi je ne m'y entends pas en médecine.

Le médecin lit le rapport qui est très succinct. J'essaie de le lire. J'en retiens deux mots dont le sens exact m'échappe toujours. Les voici : "Hémiparèse spastique". Je demande au médecin ce dont souffrait la femme. Il me répond :

- Comme l'a dit son fils : calcification à l'épaule qui a causé la paralysie du bras.

Il se tourne vers le fils et lui dit : - Je suis médecin. Me permets-tu d'examiner ta mère ? - Je t'en prie, docteur.

Le médecin s'approche de Mme Raquillé Kelta - c'est son nom qui se trouve être du quartier populaire musulman de Damas, "Roukn-Eddine" et lui dit :

- Ma sœur, je suis médecin, me permets-tu de t'examiner ?

A ce moment, la langue de la dame s'est dénouée. Elle se dresse de tout son long et, lui tendant les deux bras, lui dit :

- Très volontiers (littéralement : "prends mes yeux").

Le médecin lui fait faire quelques mouvements, puis, revenant vers moi, il me dit :

- Père, je jette bas les armes. C'est une affaire qui me dépasse et dépasse tout pouvoir humain. Et je suis prêt à témoigner devant n'importe quelle instance. Je te prie pour cela de me permettre de garder ce rapport un moment pour que je continue d'observer l'état de cette dame, en collaboration avec le docteur Samir Rownani lui-même.

Je le remercie, note son adresse et lui laisse le rapport.

Peu après le départ du docteur Jamil Marji, de Mme Raquillé Kelta et de son fils, arrivent le commandant Souheil Maarouf, chef du poste de police de Bab-Touma, et le commandant Abdel-Hadi Kifri, chef du poste de police de Koussour. Ils s'enquièrent avec le plus grand respect de ce qui se passe. Ils finissent par demander un morceau de coton imprégné d'huile, et s'en vont.

Nous apprendrons peu après que le docteur Marji les a rencontrés à l'entrée de la maison, leur a présenté Mme Kelta et son fils, et leur a raconté cette guérison.

Près d'une demi-heure plus tard, nous voyons arriver le commandant en chef de la police de Damas, le général Walid Hammamieh, accompagné de son état-major. Cette visite aussi se fait dans le plus grand respect. Et, à son tour, le général s'enquiert de ce qui se passe.

Il m'arrivera, par la suite, de rencontrer le général Hammamieh à son bureau. Il assurera être prêt à offrir toute aide nécessaire, si jamais l'affluence extraordinaire des gens l'exigeait. Ce n'est un secret pour personne que la tension dans le pays n'est pas particulièrement rassurante. Malgré cela, pas un heurt, pas le moindre trouble.

Sauf le jour où un groupe de jeunes venus d'Alep ne pourra supporter le petit retard dû à la réglementation des entrées et sorties. Ils se permettront de frapper l'un des jeunes volontaires postés à la porte. Le soir, quand j'apprendrai l'incident, j'inviterai les jeunes malmenés à imiter les Apôtres et donc "à se réjouir d'avoir mérité d'être frappés pour le nom de Jésus", comme le racontent les Actes des Apôtres. L'un d'eux m'interrompra en disant :

- Père, crois bien que c'est exactement ce que nous avons fait, et nous ne leur en voulons pas.

Or, ces jeunes Aleppins sont chrétiens.