1

Ma première visite à Soufanieh,

le dimanche 28 novembre 1982

Après la messe que je célèbre, comme d'habitude, à 17 heures, j'accueille à mon bureau une étudiante universitaire venue me consulter pour une affaire. Vient alors Mlle Viva Killizli, qui me demande d'aller à Soufanieh, ou une icone de la Vierge, dit-elle, laisse couler de l'huile dans l'une des maisons. Viva est une jeune fille sérieuse, calme et croyante. Je m'excuse sous prétexte d'avoir affaire avec la jeune étudiante. Mais, au fond de moi-même, je ne désire pas y aller, parce que, depuis ma tendre enfance, je refuse de telles manifestations.

Viva revient à la charge quelques minutes après, me priant de nouveau d'aller à cette maison pour leur donner mon avis, car elle est accompagnée d'un groupe d'hommes, de jeunes, garçons et filles, dont M. Georges Maarraoui, agé alors de 44 ans, et mon neveu Samir Zaher, architecte mécanicien, âgé alors de 28 ans, tous deux sérieux et solides. Je m'excuse de nouveau. Mais en fait, encore une fois, je refuse. Je trouve l'insistance de Viva et du groupe bizarre, car tous savent depuis longtemps que je n'ai pas l'habitude de reculer, quand je dis "oui" ou "non" à propos de quoi que ce soit.

Mon étonnement ne connaît plus de bornes quand Viva, Georges et Samir reviennent à la charge pour la troisième fois, insistant pour que je les accompagne à la maison de Soufanieh. Je trouve quelque chose d'étrange dans leur insistance même. J'hésite, puis je me dis : «Fais-leur plaisir.» Je m'excuse alors auprès de la jeune étudiante, et accompagne Viva et les autres à Soufanieh.

J'arrive à "la maison" vers 19 heures, si je me souviens bien. Je connais bien le quartier, depuis ma première enfance, mais la maison elle-même, je ne la connais pas. Une foule dense se presse à la porte d'entrée. On y entre par un escalier en pierre, mais difficilement. L'escalier compte près de dix marches. Surplomblant les dix marches, un carton est accroché au mur, où l'on a écrit dans un arabe incorrect: "Nous refusons de recevoir quelque don que ce soit et nous nous en excusons". Cette affiche attire mon attention et je me dis aussitôt

«Une note de propreté. Ce n'est pas mal! »

Le patio est plein à craquer. C'est une maison arabe, dont le patio est couvert de plastique en "éternité". Je reconnais quelques visages. Je marche derrière Viva vers la chambre; Georges, Samir et les autres nous accompagnent. On nous demande de nous déchausser, ce que nous faisons.

La chambre aussi est pleine de monde. Au milieu, un lit double sur lequel est assise une jeune fille, habillée de noir, le visage tout pale. Les gens se pressent autour du lit. La prière domine tout, et le calme règne parfaitement, en dépit de la foule présente. Je me dirige vers la droite, entre le lit et une commode plaquée au mur. J'arrive à l'angle ou les gens se tenaient pour prier. Plusieurs icônes : grandes et petites. Plus une petite icône placée dans une assiette de couleur brune. Au milieu de l'assiette, un coton. Au bord du lit est assise une jeune fille d'une forte constitution, à la peau blanche, au visage rond. Je lui demande:

Et elle pointe le doigt vers la très petite image, qui est entourée d'un cadre en plastique bien modeste et adossée à une grande icône byzantine en bois représentant la Vierge. Je lui demande aussi:

- Qui est la dame à qui "ça" arrive?

Elle me répond, en se tournant vers la personne assise au milieu du lit:

- C'est elle, ma sœur Myrna.

L'huile coule de la petite image, doucement, comme des gouttes de larmes...

Je demande à la jeune fille de me donner un peu de coton. Elle arrache un morceau de coton placé sous l'image, l'enveloppe dans du plastique et me le donne. Je le prends dans ma main droite, entre le pouce et l'index, et j'appuie ma main droite sur la paume de ma main gauche... Tous ceux qui m'accompagnent en firent autant; chacun prend un morceau de coton... Puis je leur dis :

- Nous allons chanter l'hymne "Nous sommes tes serviteurs, ô Mère de Dieu".

Je dis cela, non par conviction, mais parce que je me trouve dans une ambiance de prière. Et il est normal qu'on prie. Nous commençons l'hymne "Nous sommes tes serviteurs, ô Mère de Dieu".

Or, pendant le chant, je vois sur la paume de ma main droite une matière luisante et graisseuse. Je la sens, et je suis surpris de reconnaître de l'huile. Aussitôt me vient à l'esprit l'idée que l'huile s'est faufilée du coton que je tiens dans ma main.

Cependant, je me tourne vers M. Georges Maarraoui et lui demande de me montrer son coton : il me tend la main, tout en tenant le coton entre le pouce et l'index. Je vois que sa main est tout à fait sèche. De même avec mon neveu Samir : sa main aussi est, tout à fait sèche. Ce fait me rend perplexe. Mais je continue à penser que l'huile s'est glissée sur ma main à travers le plastique qui doit être percé.

Une fois l'hymne terminée, je me tourne vers Myrna et lui dis - J'aimerais faire votre connaissance (il s'agit d'un "votre" collectif).

Myrna se lève alors du lit et quitte la chambre, tandis que sa sœur dont je sus par la suite qu'elle s'appelle Lina - reste assise près de l'image. Certaines personnes remarquent l'huile sur ma main, et elles me demandent dans le patio de leur en enduire le front. Je le fais, tout en me dirigeant vers le salon.

Le salon aussi est bondé de monde... On me fait asseoir, avec mes compagnons, sur les fauteuils de droite et l'on me présente la famille Nazzour et Akhras, c'est-à-dire les parents du mari de Myrna, Nicolas, et ceux de Myrna. Je ne connais personne. Eux non plus ne me connaissent pas, ou du moins je le pense. Ils me racontent un peu ce qui s'était passé, l'huile qui coule de l'image.

Ce qu'ils racontent ne m'importe pas beaucoup. Je tiens surtout à me rendre compte de leur degré d'honnêteté et de sincérité. J'ai oublié la majeure partie de ce qu'ils m'ont dit ce soir-là. Mais je me souviens, à propos de cette première rencontre, de trois choses extrêmement importantes :

La première : Ces gens sont sincères et foudroyés par ce qui arrive.

La deuxième : Lors de l'apparition de l'huile sur la petite image, ils ont prévenu, dès hier samedi 27 novembre, le patriarcat orthodoxe. Et Mgr Boulos (Paul) Pandéli est arrivé, accompagné de deux jeunes prêtres orthodoxes, Georges Gilo et Georges Abou-Zakhm. Ils ont prié devant l'image, ont pris du coton imbibé d'huile et sont repartis.

La troisième : Deux hommes des services secrets syriens viennent de quitter la maison à l'instant. Ils sont en compagnie d'un médecin, Saliba Abdel-Ahad. Ils ont essayé de démonter l'image du cadre; ils ont examiné les murs de la chambre... L'image a été déchirée, quand ils ont cherché à la démonter. L'huile s'est remise à couler, quand ils l'ont remontée.

En outre, ils ont demandé à Myrna de se laver les mains en leur présence -ayant entendu dire que l'huile coule quelquefois de ses mains. Elle s'est exécutée devant eux. Puis ils sont entrés avec elle au salon, ou, à peine assise, l'huile s'est mise à couler de nouveau de ses mains. Le médecin lui a tourné et retourné les mains, tout en constatant que ses deux bras sont tout à fait secs. Il lui a même frotté les deux paumes de la main. Puis, se tournant vers les hommes des services secrets, il leur a dit:

- Dieu est grandi

Ils ont alors demandé un morceau de coton et ont quitté la maison.

Je me souviens parfaitement de ces trois choses, de cette première rencontre avec Myrna, son mari et leurs parents.

J'ai demandé à Nicolas de me permettre de parler en tête-à-tête avec Myrna. Il a acquiescé simplement et rapidement. On m'a fait entrer avec Myrna dans la chambre voisine de celle qui contient l'image. Il y a là deux lits séparés par un passage étroit. Je me suis assis sur le bord d'un lit, Myrna s'est assise en face de moi. La première question que je lui pose est celle-ci :

- Myrna, quelle est ton impression?

Elle me répond, le visage très pâle

- J'ai le cœur coupé (= je suis extrêmement effrayée). Je ne sais pas ce qui m'arrive.

Je la scrute du regard et lui demande de nouveau: - Est-ce que tu priais beaucoup avant cela?

- Père, ne te fais pas d'illusion, me dit-elle aussitôt. Je viens d'avoir mes dix-huit ans depuis peu, et j'ai vécu comme toute jeune fille de mon âge. Puis, je suis jeune mariée - depuis sept mois à peu près. Pas d'illusion! Que veux-tu que je sois? Tout ce que je priais avant, c'est le "Je vous salue" et le "Notre Père", et je vais tous les mercredis, avec ma belle-mère, à la confrérie, à l'église de la Croix.

Sa sincérité est évidente. Je ne me souviens plus de ce qu'on s'est dit ensuite. Mais je me rappelle bien qu'elle a aussi dit ceci :

- J'étais venue autrefois deux ou trois fois aux réunions que tu tenais avec les secondaires à l'église. Et je vous ai accompagnes avec eux à la piscine.

En fait, je ne me souviens pas du tout d'elle, en dépit de ma puissante mémoire.

Je me souviens aussi que sa mère est entrée dans la chambre et me raconte comment l'huile est apparue sur les mains de Myrna au moment ou elle priait avec la famille, dont Leyla, sœur de Nicolas, qui était malade. Myrna lui a enduit le corps, à l'endroit du mal, et Leyla s'en trouva bien. Tout cela s'est passé, me dit-elle, avant que l'huile ne coule de l'image de la Vierge. Sa mère, apprenant cela, demanda à Myrna de venir prier pour elle, car elle se trouvait immobilisée par suite d'une hernie discale qui la clouait au lit. Myrna, en prière devant sa mère malade, eut les mains couvertes d'huile, et elle enduisit le dos de celle-ci qui s'en était aussi trouvée bien. Cela fait déjà deux jours qu'elle supportait la presse de la foule, debout, sans éprouver aucune douleur.

Je laisse la maman raconter tout cela, puis je la prie de sortir pour continuer à questionner Myrna. Elle quitte la pièce aussitôt, sans hésitation.

J'interroge de nouveau Myrna. Mais je ne me souviens réellement plus de cette partie de notre échange.

Subitement, la porte s'ouvre et Lina - soeur de Myrna - entre, manifestement troublée. Sans s'excuser, elle dit :

- Père, si tu pouvais entrer avec Myrna dans la chambre pour prier, parce que l'huile a cessé de couler de l'image.

Sa demande me paraît extrêmement étrange. «Pour qui me prend-elle donc, me dis-je en moi-même, pour qu'à ma prière l'huile se remette à couler?» J'éprouve beaucoup de gêne. Comment l'idée lui est-elle venue d'une telle demande? Malgré cela, je me tourne vers Myrna et lui dis:

- Qu'est-ce que tu en penses?

Elle répond: - Je n'en sais rien. Comme tu veux.

Je cherche à m'esquiver. Je dis :

- Et les gens qui se trouvent dans la chambre?

- Je les ferai sortir, répond Lina sur un ton de confiance puissante qui me surprend.

Je dis alors à Myrna, avec résignation - Allons donc pour prier.

Nous sortons de la chambre et pénétrons dans la chambre de l'image. Déjà Lina l'a complètement dégagée. J'éprouve de la crainte. Myrna s'agenouille devant l'image. Moi-même, je m'agenouille derrière elle, mais de façon à avoir sous mes yeux et Myrna et l'image de la Vierge à la fois : je veux observer tout Myrna ouvre ses deux bras. Je me mets à prier dans mon cœur. Un moment après, j'entends Myrna dire d'une voix calme et douce :

«0 Vierge, c'est toi la Source.

Les gens viennent pour Toi, pas pour moi.

Ne permets pas que l'huile coule de mes mains et s'arrête de couler de ton image...

0 Vierge, c'est toi la Source.

J'embrasse ta main, j'embrasse tes pieds, ne permets pas que l'huile cesse de couler de ton image et continue de couler de mes mains.»

J'entends un langage nouveau. Les paroles m'étonnent par leur profondeur autant que par leur simplicité à la fois. Je continue à observer chaque chose, avec toute l'attention dont je suis capable. Myrna se tait un moment, puis elle dit sans s'être retournée vers moi :

- Père, je sens que la Vierge est entrée en moi.

J'ai un frisson dans tout le corps en entendant cette phrase. Je ne peux pas comprendre exactement ce qu'elle signifié, mais Myrna l'a bel et bien dite.

Pendant ce temps, je vois une chose étrange : l'huile ou une matière très luisante filtre des deux paumes des mains de Myrna et de ses doigts, avec une abondance étonnante. L'on dirait une éponge pressée par le fond, et laissant sourdre cette matière à la surface. Cette matière luisante paraît bouillir dans ses mains. Je vois cela.

En même temps, je vois des gouttes d'huile se constituer sur le verre de l'image et couler lentement

Je me sens dans un monde autre que le nôtre. Je promène mon regard des mains de Myrna à l'image, tout en priant et demandant au Seigneur de m'éclairer pour savoir ce que je dois faire. Pendant ce temps, Myrna ne cesse de répéter ces mêmes mots : «O Vierge, c'est Toi la Source ... »

Au bout d'un moment - il m'est impossible d'évaluer la durée du temps passé dans la chambre - Myrna dit à mon adresse, mais sans se retourner vers moi :

- Père, qu'est-ce que je fais?

Vraiment, je ne sais ni ce qu'on peut, ni ce qu'on doit faire. Je M'entends lui répondre spontanément:

- Sors.

Elle se lève; je me lève. Ses deux mains ruissellent d'huile avec une abondance déconcertante, au point que des gouttes tombent sur la moquette couvrant le parquet. Je me rappelle lui avoir ouvert la porte. Je crois lui avoir frayé le passage parmi la foule pressée dans le patio, tandis qu'elle avance vers le salon en levant les deux bras, cependant que les gens se pressent, mais dans le calme, pour lui toucher les mains et s'en enduire le front.

Je me rappelle parfaitement qu'elle a les deux mains bien levées. Mais certains de ceux qui se trouvent dans le patio, m'entendant un jour parler de ce fait, m'affirmeront que je marchais à côté d'elle, lui tenant les deux mains vers le haut. En vérité, je ne puis trancher, tellement je suis saisi d'étonnement. Il se peut que le témoignage de ces personnes soit plus fidèle que ma mémoire.

Mais ce dont je me souviens parfaitement, c'est que les gens élèvent spontanément leurs voix en récitant le "Je vous salue Marie" dès qu'ils voient Myma au seuil de la chambre. Il en est de même quand nous entrons au salon. Myrna tremble, toute pâle. Elle se dirige du Côté gauche du salon. On l'étend et la couvre, ne laissant visible que son visage.

De nouveau, je m'assieds quelques moments avec son mari et tous les leurs ou presque. Mais je ne me souviens plus de ce que nous échangeons alors. Puis, je prends congé et sors avec mes compagnons.

Dans la voiture qui nous ramène, je pose la main droite sur le tableau de bord. Elle est encore enduite d'huile. La trace en demeurera longtemps sur le tableau, au dire de son propriétaire, Georges Maarraoui. Avec celui-ci et Samir, je me rends directement chez Adel Batal, beau-frère de Georges Maarraoui. Je raconte à Adel, comme à sa femme Hinda Derani, ce qui nous est arrivé. Je demande à Adel de se rendre avec moi auprès de Mgr François Abou-Mokh, mon supérieur ecclésiastique. Il accepte On contacte l'évêque par téléphone. Il se montre, selon son habitude, accueillant.

Mon choix d'Adel Batal repose sur deux raisons. La première, la vieille amitié que je lui porte et la confiance que je nourris à son égard, sur les deux plans, tant humain que scientifique. La deuxième : le fait qu'il soit secrétaire du Conseil des laïcs de notre communauté grecquecatholique, et l'ascendant dont il jouit, non seulement auprès de l'autorité ecclésiastique, mais également auprès des laïcs.

Au bureau de Mgr François, il y a deux prêtres, les PP. Antoine Ghlayel et Faëz Freijaté, ainsi que M. Élie Achi. Il doit être près de 21 heures.

Je salue et demande à Monseigneur de sentir le coton que je tiens en main. Il le fait et dit:

- Cela sent l'huile de confirmation... De quoi s'agit-il?

Après lui avoir oint le front, à lui et aux personnes présentes, je lui raconte ce dont je viens d'être témoin. Il en est étonné. Puis il me dit :

- Poursuis ton observation, Père Élias, mais je n'ai pas besoin de te recommander d'être très prudent.

- Monseigneur, lui répondis-je, crois-moi, je n'ai pas besoin de cette recommandation; car, depuis mon enfance, je me méfie de pareils phénomènes.

Alors, je lui raconte l'histoire, jadis connue à Damas, dans les années quarante, sous le nom de "Jésus de Zablatani" (c'est un petit quartier de Damas, proche de Soufanieh). Un gosse du nom de Khalil Haskour, était mon camarade de classe à l'école Notre-Dame de Lourdes. Il s'absenta plusieurs jours. L'on apprit rapidement que le Christ lui apparaissait. Tout la ville en fut émue. Un soir même, ma mère m'y emmena et m'y fit avaler un petit morceau de coton imbibé d'huile, pour que je devinsse "sage".

Je raconte également à Monseigneur que j'avais fait l'école buissonnière, un certain samedi, pour regarder la croix qui devait briller, dans le ciel au-dessus de la maison, à l'heure précisée par les racontars, suivant la promesse faite à Khalil par le Christ. Et nous attendîmes, en vain. Ainsi s'était terminée l'histoire du "Christ de Zablatani". Et Khalil revint à l'école.

Il y a aussi ce qui s'était passé le 20 juillet 1977, à l'église Notre-Dame de Fatima, où la statue de la Vierge aurait versé des larmes. Je m'y étais rendu avec un prêtre français qui se trouvait ce jour-là à Damas, le P. Pierre Boz. Je ne vis pas de larmes sur la face de la statue. Je vis plutôt des gens s'agiter, prier aussi, bien sûr, et verser de la monnaie dans un tronc placé près de la statue. Deux jours plus tard, les photos de cette statue se vendaient, chacune, à dix ou quinze livres syriennes - trois à quatre dollars à l'époque. Cela dura quelques jours, puis l'affaire fut close.

Je n'ai donc pas besoin d'être mis en garde. Mais on ne saurait jamais être trop prudent face à des phénomènes de ce genre. Je trouve en conséquence l'attitude de Mgr François très raisonnable.

Je sors à l'instant, donne un coup de téléphone à Mme Nadia Abdal et lui porte un morceau de coton. Je me rends chez le dermatologue Jean Siage. Il est invité à une réception et est sur le point de sortir. Je m'excuse et le prie de répondre à une question que je désirais lui poser :

- Docteur, est-ce que le corps humain secrète de l'huile?

Je revois encore le regard qu'il me jette et il s'empresse de me dire -Père, qu'est-ce qui te prend?

Je comprends, souris et lui dis

- Docteur, ne crains pas; je n'ai rien. Mais je te pose une question importante, et je tiens à avoir une réponse scientifique " Est-ce que le corps humain secrète de l'huile?"

Il me dit toujours étonné :

- Mais Père, ta question est étrange!

- Je sais qu'elle est étrange, lui dis-je, mais je te prie de me répondre.

- Le corps humain, dit-il, secrète de la sueur. Dans des cas d'extrême angoisse, il peut sécréter des gouttelettes de sang... Mais, Père, pourquoi cette question?

- Docteur, lui dis-je, je viens à l'instant de voir ceci, cela, etc.

Il me dit alors :

- Père, fais attention. Ne la laissez pas se moquer de vous. Mettez-la à nu : elle doit avoir caché des tuyaux sous ses habits...

La réponse du docteur ne me paraît pas bizarre du tout. Mais je me dis : «Il n'était pas avec moi, pour voir le degré de sincérité de ces personnes.»