Jean-Claude Antakli

L’itinéraire d’un chrétien d’Orient

(extraits)

Dédicace

Je dédie ce livre…

A Diane, Fabien et David, mes enfants bien aimés,

A Geneviève, ma tendre épouse,

A mon ami le Docteur Jean Nolorgues et à Bernadette Dubois, qui m'ont aidé dans la réalisation de cet ouvrage.

 

Préface

Lorsqu'il m'a été donné de prendre connaissance du manuscrit de ce livre, j'ai tout de suite tenté de lui conférer un autre nom que celui que son auteur lui avait précédemment attribué. Pour moi - et quel que soit le titre que l'édition finale possèdera -, cet ouvrage se nommera "L'itinéraire d'un honnête homme".

"Honnête homme" : cette expression, je souhaiterais l'aborder et la creuser dans son acception la plus complète. Jean-Claude Antakli vient de ce monde magique de l'Orient, si sensible à la poésie des choses, et ouvert comme par nature aux réalités spirituelles... Il est aussi le fils d'une culture au sein de laquelle cohabitent les paix les plus libératrices et les passions les plus brûlantes. Orient, et plus précisément Moyen-Orient : l'univers de la Bible, celui de la rencontre ineffable de Dieu avec le peuple des hommes, celui du sourire du Christ et de la douceur de Marie, celui également des "Mille et une nuits" vibrantes de sensualité et d'immersion dans les méandres délicieusement sulfureux des plaisirs inavoués...

Le Moyen-Orient est sans doute la partie du monde qui visualise le mieux les noblesses et les contradictions de la nature humaine, tiraillée sans cesse entre les appels du Tout-Autre et ceux, parfois tyranniques, de la nature - glèbe qui tente de clouer au sol les êtres les plus nobles.

Le livre de Jean-Claude Antakli est un itinéraire d'homme si homme, parce que rien n'y est caché. Tout y respire la simplicité, la sincérité mais surtout la vérité...

La vérité ... Qu'est-ce que la vérité ? Question qui traverse les siècles, question belle entre toutes puisqu'elle fut adressée au Fils même de Dieu alors qu'il allait livrer sa vie... Cette "Vérité", Jean-Claude Antakli nous l'adresse après se l'être adressée à lui-même. Son ouvrage est l'ouvrage de sa vie; peut-être sera-t-il le seul ? Il revêt la gravité, la totalité, la grâce de sa signification. D'aucuns l'appelleraient une "confession". Le terme me paraît impropre ou alors faut-il le prendre dans le sens où les basiliques romaines le connaissaient, à savoir "l'endroit où un être a rendu témoignage de sa vie et de sa foi" ?

Rien n'échappe à Jean-Claude Antakli : ni le monde, ni "son" monde - celui de la Syrie, du Liban, de la Palestine chrétienne, musulmane et juive -, ni les siens, ni lui-même. Il aborde avec courage, émerveillement et parfois larmes ces "mondes" entrecroisés, intimement imbriqués, denses de bonheur et de tragédies, d'ouvertures abyssales et de silences assourdissants. Il veut être à la fois témoin sensible et acteur vivant. Et Jean-Claude le Syrien s'enrichit de Jean-Claude le scientifique, chercheur, inventeur, l'être venu d'un ailleurs qui continue à l'habiter, l'être de chez nous aussi, véritablement... Il est rare de rencontrer des témoignages aussi authentiques, aussi... honnêtes que celui de ce livre. En chacun de nous sont enfouies des pudeurs qui souvent nous empêchent de livrer ce que nous avons de plus beau, à savoir notre coeur et irais-je jusqu'à dire notre âme ?

Jean-Claude Antakli nous offre ce cadeau précieux d'une existence totale traversée par tout ce qui construit, ébranle, détruit puis reconstruit chacune de nos vies. Il n'élude rien de ses limites et de ses faiblesses, de ses tentations et de ses projets avortés, mais il sait rendre grâces pour les beautés et les grandeurs qu'il a su percevoir dans son histoire.

Sans doute devons-nous à la Dame de Soufanieh le parfum de "Magnificat" qui embaume "L’itinéraire d’un chrétien d’Orient" ou plutôt - je suis obstiné - "L'itinéraire d'un honnête homme".

J'ai été le premier à avoir eu le privilège de m'en imprégner. Merci de tout coeur, Jean-Claude Antakli, Jean-Claude, mon ami.

Jean-Claude Darrigaud

Grand reporter à France 2 – Paris

 

III – Et le ciel s’est ouvert…

Chapitre 1 –Soufanieh

Première rencontre

Depuis un an, je caresse le rêve d'aller à Damas. La rencontre avec Dominique R., jeune scénariste intéressé par mon projet cinématographique, m'en fournit l'occasion. En février 1987, nous nous envolons tous deux à destination d'Alep. Là, nous visitons la citadelle, les vieux souks et tout ce qui peut intéresser notre film. Nous gagnons ensuite Alexandrette, où a vécu ma mère, puis Antioche, siège de la première Eglise chrétienne et ville d'origine de mon grand-père Antakly. Et enfin Soufanieh, la "ville du miracle".

A Soufanieh, face à la rivière Barada, se dresse une maison toute simple, avec un patio. C'est là qu'habite avec sa famille Myrna Nazzour, la jeune femme à qui la Vierge s'est manifestée. Lorsque j'y arrive pour la première fois cette année-là, une centaine de personnes, chrétiens et musulmans, prient devant une petite icône, dans une atmosphère de grande simplicité. Après un moment de prière silencieuse, un prêtre, prononce une allocution en arabe. C'est le Père Elias Zahlaoui, qui, avec le Père Maloûli, est chargé de suivre les événements de Soufanieh, dont il est l'un des premiers témoins.

Au bout de deux heures, je suis autorisé à rencontrer Myrna Nazzour, et Nicolas, son mari, qui me reçoivent avec cette extraordinaire qualité d'hospitalité qui caractérise notre Orient.

Née en 1964 d’un père catholique et d'une mère orthodoxe, Myrna a fait ses études dans des écoles chrétiennes et des écoles laïques, sans aller jusqu'au baccalauréat. Sa culture religieuse n'a pas non plus été très développée. Mais c'est une jeune femme équilibrée, simple et gaie. Quand je la rencontre, elle a 23 ans et est mariée depuis mai 1982 avec Nicolas Nazzour, de rite orthodoxe. Au Proche-Orient, en effet, où les différentes communautés chrétiennes vivent très mêlées dans les centres urbains, les mariages sont fréquents entre catholiques et orthodoxes, qui partagent d’ailleurs une même foi même si les circonstances historiques ont entraîné la séparation des Eglises.

Or voilà que, six mois après leur mariage, survient un premier phénomène, aussi inexplicable qu'inattendu, qui doit ensuite se reproduire fréquemment : de l'huile suinte d'une icône représentant une Vierge à l'Enfant, et aussi des mains de Myrna.

En apprenant de la bouche de témoins dignes de foi comme le Père Zahlaoui ou le P. Maloûli, tout ce qui s'est déjà passé depuis le début, et en rencontrant Myrna elle-même, je me sens convaincu qu'elle a été élue par Dieu pour une mission précise. J'ai aussi pris connaissance des messages qu’elle a reçus. Je peux constater qu’ils se situent dans la droite ligne de l'Evangile et, en même temps, qu'ils s'adaptent remarquablement à notre époque.

Par ailleurs, le vendredi 25 novembre 1983, un an jour pour jour après le premier écoulement d'huile, Myrna a, pour la première fois, fait la douloureuse expérience des stigmates. Ce jour-là, huit médecins présents ont pu examiner et palper ses blessures, ce qui la fait sursauter de douleur à chaque contact.

Elle est stigmatisée pour la deuxième fois le Jeudi Saint 19 avril 1984, vers 15 h 30, présentant de plus une plaie à la base antérieure gauche du thorax. Cela se passe en présence d'évêques, de prêtres, de catholiques et de musulmans. Vers 22 h, les stigmates se referment.

Je suis désormais ces événements avec objectivité et sans parti pris, décidé à faire mentir le Père Elias Zahlaoui qui me prédit, d'emblée : "Tu verras, Jean-Claude, la Vierge va te mener par le bout du nez."

*

Ma femme, que ces récits laissent sceptique, réagi néanmoins vivement au message transmis par Myrna le 26 novembre 1985, jour anniversaire du premier écoulement d'huile. Traduit de l'arabe, il est dit :

"Je veux, ma fille, que tu t'appliques à la prière, et que tu te méprises. Celui qui se méprise augmente en force et en élévation de la part de Dieu."

La réaction scandalisée de Geneviève me frappe et j'écris au P. Zahlaoui pour lui en faire part. Voici ce qu'il me répondit, le 11 mars 1987 :

"Cher ami,

"La question que vous m'avez posée sur la phrase du 26 novembre 1985 : "Je veux que tu te méprises", vous n'êtes pas le premier occidental à l'avoir posée. Une certaine susceptibilité se révolte devant une telle expression. Mais au fond, le mot n'a rien d'étrange pour une intelligence qui se veut chrétienne. Tout se tient en christianisme à partir de l'Incarnation. Or, dans l'Incarnation, comme le dit saint Paul, Dieu s'est littéralement vidé pour se faire esclave, et obéissant jusqu'à mourir sur une croix... Le mépris de soi c'est cela : se vider de soi pour se rendre accessible à Dieu. Or, rien ne s'oppose à Dieu comme d'être rempli de quelque chose qui tienne lieu d'absolu, à plus forte raison de soi-même.... L'Evangile est tout entier dans ce petit mot...

"D'autre part, Dieu nous connaît bien plus que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Et il sait parfaitement qu'un petit rien nous enivre. Il suffit de regarder autour de soi pour s'en rendre compte à tous les niveaux. Que serait-ce donc pour une jeune personne, absolument inexpérimentée, qui se voit le point de mire de dizaines de milliers de personnes venues de tous les coins du monde ?

"Il faut vraiment une grâce extraordinaire dans ces conditions pour "rester à sa place", et reconnaître dans ce qui se fait, tout ce qui se fait, l'oeuvre de Dieu seul. Et c'est là, précisément, à mon avis, l'un des plus grands miracles de Soufanieh : que Myrna soit restée, en dépit de tout, à sa place. Et pour moi, c'est une grâce spéciale que le Seigneur lui a faite. Et au fond, nous touchons là un des mystères les plus profonds qui soient : Dieu nous donne ce qu'Il ordonne. Et c'est précisément l'une des plus belles prières de saint Augustin, dans ses Confessions : "Seigneur, donne ce que tu ordonnes."

En avril 1987, les stigmates se produisent à nouveau. Myrna en a pressenti et annoncé la venue. Mes projets cinématographiques, m’obligent à gagner Alep au moment de Pâques. Or, la fermeture pour travaux de l'aéroport d'Alep nous oblige à passer par Damas. Ce changement entraîne des conséquences que je ne crois pas dues au hasard. Je me mets à penser qu'atterrir à Damas pendant la Semaine Sainte va permettre à Geneviève et aux enfants d'aller dès l'arrivée visiter Soufanieh et rencontrer Myrna, à qui la Vierge apparaît périodiquement déjà depuis cinq ans.

A l'aéroport, le P. Zahlaoui nous accueillie et nous conduit au Mémorial Saint Paul ou un Père franciscain et trois religieuses tiennent cet établissement. Nous sommes émerveillés par leur accueil et par leur dévouement sans limite envers les pauvres du quartier.

En nous quittant, le P. Zahlaoui nous donne rendez-vous pour le lendemain chez Myrna, nous disant : "Je sens que quelque chose va se produire." Il a, en effet, présent à l'esprit cette phrase contenue dans le message reçu par Myrna le 26 novembre précédent : "Je veux renouveler ma Passion en toi."

Le lendemain, Jeudi-Saint, 16 avril 1987, vers 15 h, Geneviève, les enfants et moi-même, nous dirigeons donc, à pied, vers le quartier de Soufanieh. A notre arrivée chez Myrna et Nicolas, le P. Zahlaoui nous acueille

Ma famille et moi avions déjà la foi avant de voir. Mais ce qui se produit ce jour-là dans cette maison est tout simplement extraordinaire : nous sommes témoins des stigmates de Myrna.

Il faut rappeler qu'en 1987, comme en 1984, la célébration de la fête de Pâques a lieu à la même date pour les catholiques et les orthodoxes.

Le Père Elie raconte ainsi les événements de ce 16 avril 1987, à Soufanieh :

« J'arrive à Soufanieh vers 14 h 25. La famille Nazzour prenait son repas dans la cour, près de l'icône sainte. Je priai un moment devant l’icône, puis je demandai où se trouvait Myrna. On me dit qu'elle était dans la chambre, en prière, avec le Père Maloûli. J'entrai. Myrna semblait sereine, un peu inquiète peut-être cependant. (...)

« Myrna me dit alors : "Père, ne laisse entrer personne; je préfère qu'on reste seuls." (...) Nous restâmes donc seuls, Myrna, le Père Maloûli et moi-même. Un moment après, Myrna qui marchait dans la chambre tout en répétant « Jésus, Marie... » s'arrêta brusquement et me dit : « Père, j'ai un frisson dans tout le corps, est-ce la peur ? » Je lui répondis sur un ton de reproche : « Myrna, cesse de prononcer le mot peur et laisse faire le Seigneur ! »

« Elle fit quelques pas, regardant à terre, elle passa les mains sur son visage, puis elle s'agenouilla dans un coin de la chambre, à gauche du lit, répétant sans cesse : « Vierge Marie, ô Jésus...! » Puis elle se recroquevilla sur elle-même et se mit tout à coup à hurler, en portant ses deux mains à ses tempes: « Enlevez-le, enlevez-le ! »

« Je courus dans sa direction, car je voyais qu'elle penchait en arrière, comme si elle allait perdre connaissance. A cet instant, grâce au miroir qui se trouvait en face d'elle, je vis le sang gicler littéralement de son front. Puis elle ouvrit les bras et les laissa retomber. Je vis alors du sang couler de la paume de ses mains. Avec le Père Maloûli, je l'aidai à s'allonger sur le lit en lui remontant les pieds.

« De mon cœur montait une immense action de grâces au Seigneur pour nous avoir permis, au Père Maloûli et à moi-même, d'êtres témoins d'un tel événement.

« Je courus aussitôt au téléphone pour prévenir amis et médecins. (...) Je revins ensuite m'installer au chevet de Myrna. Et je suis resté là tout le temps qu'ont duré "sa Passion" ainsi que l'extase qui la suivit et enfin son retour.

« Je pris soin de noter tout : paroles, gestes, tandis que la caméra du vidéoman, Nabil Choukair, que j'avais prévenu en premier au téléphone, entrait en action. (...)

« Je reproduis tout ce que j'ai noté sur place, sans y ajouter aucun commentaire. »

Le P. Zahlaoui rapporte ensuite les faits minute par minute. Puis il poursuit :

« 5 h 21 : Myrna entrouvre les yeux. Je lui demande : « Tu as vu quelque chose ? »

« Elle répond : « J'ai vu ce qu'Il a fait pour nous » (ou plutôt : par amour pour nous, le mot arabe "kourmalna" signifiant tout cela).

« Je lui dis : « Est-ce qu'Il t'a dit quelque chose ? » Elle « Non. »

« 5 h 25 : je lui demande : »"La souffrance est comme avant ? Elle : « Non, mais je suis brisée. »

« Georges Bdéoui me demande de lui faire dire ce qu'elle a vu dans tous les détails. Elle dit : « Toute la Passion... Je suis très fatiguée... Ce spectacle, il m'est impossible de l'oublier... Je le raconterai plus tard. »

« Je lui dis : « Si je te demandais d'écrire ce que tu as vu ? » Elle : « Je l'écrirai. »

« Georges Bdéoui insiste auprès de moi pour que je l'interroge. Je le fais en lui disant de nous dire en gros ce qu'elle a vu. Elle s'exprime par des mots hachés, que je reproduis tels quels :

« De loin, je L'ai vu descendre un escalier... Portant une Croix... En tenue rouge... une couronne au front... Ils ont escaladé une montagne... La Vierge avec les trois autres... il y avait trois femmes... On l'a beaucoup frappé... quand ils l'ont flagellé... Oui... Quand Il a été flagellé avant qu'on ne Lui donne la croix... Quelqu'un a porté la croix avec Lui... Un soldat... spectacle d'une croix... Une parole dite très haute, comme si ce n'était pas Lui qui l'avait poussée : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »... trois femmes par terre, comme agenouillées. Je n'ai pas entendu de bruit : c'était un spectacle silencieux. »

« Une question de Georges Bdéoui : « Après la crucifixion, quelqu'un s'est-il approché de Jésus ? » Elle : « Ils lui ont donné à boire... Ils l'on transpercé d'un javelot... Il n'a pas bu... la dernière chose, c'était son cri : « Père, pardonne-leur... »

« Myrna ajoute : « Peut-être qu'Il nous vise nous par cette parole, je ne sais pas... Quand il a expiré, il pleuvait... Spectacle silencieux... Un seul homme et trois femmes L'ont descendu de la croix. Le monde était devenu sombre (littéralement : noir)... des femmes, un militaire... un homme et trois femmes. » (…)

*

Le Jeudi-Saint, Geneviève, les enfants et moi, restons chez Myrna, de 15 à 19 heures. Geneviève est réticente pour emmener notre fille Diane avec nous, pensant qu'à six ans, elle est un peu jeune pour voir de tels événements. Mais nous nous décidons finalement à l'emmener et nous sommes stupéfaits de constater la sérénité avec laquelle nos trois enfants assistent à toutes ces manifestations. Le lendemain, comme nous nous disposons à retourner voir Myrna pour nous rendre compte de son état, ils sont tous les trois unanimes pour nous suivre.

Nous sommes donc le Vendredi Saint. En arrivant chez Myrna, nous nous recueillons devant l'icône, puis sa famille nous invite avec chaleur et simplicité.

Le Père Zahlaoui insiste pour que nous rédigions un rapport, si succinct soit-il, avant de quitter Damas. Voici ce que nous rédigeons avril 1987 :

« Geneviève Antakly et Jean-Claude Antakly, biologistes,

Ont constaté ce qui suit :

Myrna présentait une plaie au milieu du front, une autre à l'intérieur des deux mains, et une sur chaque pied. Sous le sein gauche, une longue griffure suintante, aux bords nets.

Bras en croix, dans une attitude de souffrance, le moindre contact semblait douloureux.

Pouls oscillant entre 120 et 130 pulsations/minute.

La blessure du front et du pied s'est rouverte spontanément en notre présence sans que quiconque ne l'ait touchée.

A l'attitude souffrante a succédé une phase de détente où les réflexes fondamentaux avaient disparu. Des médecins ont devant nous nettoyé les plaies, légères entailles aux bords nets. Celle du front était plus profonde, tuméfiée.

Vendredi 17 avril 1987

Plaie au front tuméfiée mais indolore au toucher.

Plaies aux mains et aux pieds : cicatrisation normale mais toucher indolore.

Plaie sous le sein gauche (12 cm) totalement cicatrisée. »

*

Durant ces fêtes pascales de 1987, j'ai l'occasion de rencontrer le Docteur Pierre Salam, de la Faculté de Médecine de Montpellier, ami d'enfance de mon oncle Gabriel et exerçant à Alep. Ce médecin rapporte une guérison surprenante et spectaculaire dont il accepte de témoigner sur vidéo-cassette :

Madame Benlian, une personne de 51 ans, d'origine arménienne, habitant Alep, avait eu, lors d'un accident, en 1970, une fracture de l'épaule. Le Docteur Salam ayant fait une erreur de diagnostic, cette fracture, mal soignée avait entraîné des lésions importantes et une ankylose de l'articulation de l'épaule. Le 25 janvier, Madame Benlian se trouvait à l'église Sainte-Croix d'Alep, en prière avec plusieurs autres personnes devant une reproduction de l'icône de Soufanieh, qui avait été transférée solennellement dans cette église le 9 janvier précédent, sur ordre de Sa Béatitude le patriarche orthodoxe Ignace Hazim.

Soudain elle sentit, à trois reprises successives, une main se poser sur sa tête. La troisième fois, tout son corps fut saisi d'un profond tremblement. En même temps, elle rapporte qu'elle sentit une boule de feu pénétrer sa tête et se précipiter vers son bras malade en lui traversant la poitrine. Aussitôt, ce bras se détendit, alors qu'il était depuis de longues années recroquevillé en attitude spasmodique. Son poignet, enflé depuis plus de deux ans, et dont la couleur était devenue d'un bleu noirâtre, recouvra sa couleur naturelle et sa force. Par la suite, à la demande du Docteur Salam, Madame Benlian avait subi trois examens radiographiques étalés dans le temps. Toutes ces radiographies montrent que l'épaule, le coude et le poignet sont ankylosés par des calcifications articulaires telles qu'aucun mouvement du bras n'est anatomiquement possible. Or, malgré ces images radiologiques persistantes, en 1987 le bras jouissait toujours, depuis cette soudaine récupération fonctionnelle de 1983, d'une liberté de mouvement totale. En 1990, le Docteur Loron, neurologue à l'Hôpital de la Salpétrière à Paris, devait confirmer que Madame Benlian avait toujours le libre usage de son bras, resté pourtant bloqué jusqu'en 1983 pendant treize années consécutives.

Plus tard, lorsque je revois, le Père Zahlaoui me rapporte les témoignages suivants qui sont antérieurs à 1986.

L’archevêque syrien catholique de Hassaké-Nisibe, ville du Nord-Est de la Syrie, d'abord farouchement opposé à ce qui se dit de Soufanieh, s'y rallie après avoir vu de l'huile couler d'une reproduction de Notre-Dame de Soufanieh dans la maison de son frère Ephrem, à Beyrouth. Mgr Hafoury est le premier à faire connaître en Occident le phénomène de Soufanieh, par l'article qu'il publie dans la revue mariale « Stella Maris » d'octobre 1986

Le 15 janvier 1987, il fait paraître un nouvel article dans la revue « Notre-Dame des Temps nouveaux », dans lequel il dit notamment :

"(...) Dans nos temps modernes, la Vierge entame des rapports fréquents avec notre planète. Citons pour mémoire : la rue du Bac (1830), La Salette (1846), Lourdes (1858), Fatima (1917), Syracuse (1953), Akita au Japon (1981), etc... Marie est bien Notre-Dame des Temps Nouveaux. Elle apparaît, elle parle, donne des messages, elle pleure aussi. Le 20 juillet 1977, sa statue a versé des larmes dans mon ancienne église paroissiale Notre-Dame de Fatima, à Damas.

« Maintenant, et toujours à Damas, un fait nouveau : d'une petite icône de papier perlent par intermittence des gouttes d'huile. Ce phénomène date du 28 novembre 1982. Le 15 décembre dernier, de passage à Damas, j'ai été prendre part à la prière de la foule qui, sans discontinuer, se recueille chaque soir aux pieds de l'icône. L'atmosphère est saturée de ferveur. La prière terminée, j'ai vu des gouttes d'huile se former et glisser sur la sainte icône. Fort nombreuses sont les reproductions qui ont suinté et suintent une huile parfumée dans des maisons chrétiennes et même non chrétiennes. On parle de guérisons et de beaucoup de conversions. (…) »

*

Le 15 août, alors que nous sommes à Juan-les-Pins les hôtes de nos amis Jean-Serge et Claire, un coup de fil du P. Zahlaoui nous arrive vers minuit de Damas, et nous apprend que Myrna vient d’avoir une extase au cours de laquelle le Christ lui est apparu, et lui a transmis le message suivant :

« Ma fille, c'est bien ma Mère dont je suis né.

Qui l'honore, m'honore.

Qui la renie, me renie.

Tout ce qui lui sera demandé sera exaucé parce qu'elle est ma Mère.

Ce pour quoi vous êtes venus, n'en parle pas maintenant. »

Le Père Zahlaoui, deux mois plus tard, nous éclaire sur la signification de cette dernière phrase. Le Père Maloûli et lui-même ont prié Myrna, au cas où elle aurait une apparition, de demander si le secret qui lui a été confié précédemment peut ou doit être dévoilé. Myrna leur répond : « Quand Jésus me parle, il ne me laisse jamais le temps de m'exprimer. » - « Ca ne fait rien, lui disent les deux prêtres, mémorise notre demande et souviens-t'en le jour venu » En ce 15 août, le Christ vient à nouveau de parler et demande de ne pas révéler le secret déjà communiqué à Myrna.

Fin septembre, je retourne à Damas, et le vendredi 2 octobre, je me rends pour la troisième fois à Soufanieh, en compagnie du Père Elie. Après une heure passée en prière, dans le recueillement, comme je m'apprête à partir, Nicolas et Myrna m'invitent à rester avec eux pour le dîner.

Vers 20 h 30, nous nous réunissons autour de la table, Myrna, sa maman, NIcolas, le Père Elie et moi, ainsi que quelques autres personnes. Nos hôtes nous ont préparé un tas de petits plats aussi appétissants que bien présentés. La soirée se déroule dans une atmosphère paisible et fraternelle.La Vierge est souvent mentionnée Au moment de trinquer, je dis spontanément « À votre bonne santé ! » Alors, Nicolas me reprend: « Chez nous, on commence par dire : « A la santé de la Vierge ». » Surpris, je me mets bientôt à sourire mais cette remarque prendra définitivement place dans ma mémoire.

Ce même 2 octobre 1987, à 22 h 45, alors que j'écoute des poèmes qu'un ami a écrits en l'honneur de Marie, je vois soudain que les mains de Myrna sont toutes humectées d'huile. Aussitôt l’assistance s’orient vers la petite icône pour s’agenouiller et prier en signe de reconnaissance. Ce soir-là, une jeune femme, venue avec son enfant de deux ans, sourd-muet, se joint à notre groupe. Elle espère une guérison pour son fils. L'a-t-elle obtenue ? Je ne sais. Mais je suis frappé par l'attitude de confiance et d'abandon à Marie de chacun, que résume si bien le père de Myrna, s'adressant à cette jeune femme : « Prie, ma fille, mais ne te fie pas à l'image qui n'est qu'un symbole. Prie la Vierge de tout ton cœur. Même si ton enfant ne guérit pas, garde confiance. »

Le lendemain, je gagne Alep pour 48 heures. Là, je rends visite à une voisine, Madame Berthe Behna. Atteinte d'une maladie incurable, elle est impotente, a du mal à parler et souffre beaucoup. Je lui offre une image de Notre-Dame de Soufanieh, en lui disant que, si elle peut un jour se rendre à Soufanieh, cela pourrait l'aider. Bertha prend l'image et l'embrasse avec spontanéité. Puis elle me dit qu'elle aime beaucoup la Vierge, qu'elle est déjà allée à Soufanieh et que son fils Bachir, qui habite à l'étage au-dessus, a une photographie de la Vierge de Soufanieh d'où l'huile a déjà coulé. Quant à elle, la grâce qu'elle demande à la Vierge est d'abréger ses souffrances et de mourir en paix.

Je demande alors à Djouména, la fille de Bertha, âgée de 22 ans, si elle peut me montrer cette image, ce qu'elle fait aussitôt. Je l'examine alors avec respect et minutie. Elle est protégée par un verre mais je peux constater que le visage de l'Enfant Jésus a déteint, donc que l'huile a certainement dû couler autrefois. Je le fis remarque à mon père, qui est venu avec moi. Puis, silencieusement, en moi-même, je récite un « Je vous salue Marie » à l'intention de Bertha.

A peine ais-je terminé que je vois que la vitre protégeant l'image s'est recouverte de buée. Je demande à Djouména d'enlever le verre. Une grosse tache d'huile recouvre la partie gauche de l'image. Je la présente à Bertha. Elle prend la photo et s'oint avec l'huile en faisant un signe de croix. Puis nous prions ensemble. Nous sommes six personnes lorsque cet événement se produit, le lundi 5 octobre 1987, chez Bertha. Avant de partir, je demandeà Djoumena de bien vouloir me faire un petit rapport sur ce qui vient de se passer. Plus tard, j'apprends que Bertha ²est morte le 14 octobre, soit neuf jours après ma visite.

Le lendemain, chez mon père, je suis stupéfait de voir l'image de Soufanieh, tout de neuf encadrée, trôner au milieu du salon. De la part de mon père, c'est un geste sans précédent.

Ma dernière soirée de ce voyage en Syrie est consacrée à mon ami Abed, sa femme Zéna et leurs deux enfants. Pour plaisanter, Zéna, qui me taquine toujours sur mon enthousiasme à propos de l'image de Soufanieh, a voulu m'accueillir en en plaçant une reproduction entre deux chandeliers sur le guéridon du salon. Abed, qui a senti l'intention moqueuse, tente de l'en dissuader. Or, au moment où Zéna pose l'icône sur le guéridon, le marbre dont il est recouvert et qui n'aaucune faille apparente, vole en éclat. Abed y voit un avertissement, Zéna une simple coïncidence. Nous éludons la question et l'atmosphère de la soirée est excellente.

Le lendemain je reprends la route de Damas, où je raconte au Père Elias Zahlaoui tout ce dont j'ai été témoin, avant de m'envoler pour la France.

Chapitre 2 – Fioretti… de souvenirs exceptionnels

Le 18 mars 1988, j'atterris une fois encore à Alep, dans le cadre d'un projet commercial. La distance qui sépare l'aéroport de la Citadelle est d'environ quinze km. C'est plus qu'il ne m'en faut pour retrouver les senteurs de mon enfance, les oliviers, et toutes ces odeurs subtiles et indéfinissables de l'Orient. Je redécouvre aussi l'expression constamment souriante et paisible des passants et ces mille bruits familiers qui ont inscrit dans ma mémoire des échos prêts à ressurgir, suscitant en moi une émotion juvénile.

Plongé à nouveau dans cette atmosphère si particulière, j'éprouve un véritable bonheur et je remercie le Ciel de m'avoir fait naître dans le désert de Syrie. Le Père Zahlaoui, de passage à Alep pour y donner une conférence, est venu m'accueillir. Il m'invite à aller rendre visite à une Arménienne, Marie Abraham Manuellian, et me donne l'adresse d'un ingénieur, Michel Chahada, qui doit m'y conduire. Pendant le court trajet que nous faisons ensemble, celui-ci me donne quelques explications sur les événements qui se passent depuis deux mois chez cette femme d'une soixantaine d'années.

Je m'entretiens ensuite une heure avec elle, dans un petit salon où est dressé un autel à Notre-Dame de Soufanieh. Et voici ce qu'elle m'explique :

"Le 24 janvier, me dit-elle, je commençe selon une habitude vieille de 25 ans, un jeûne de trois jours pour la fête de Saint Elie. Deux jours plus tôt, j'avais vu en songe la Vierge Marie, qui m'avait demandé de placer l'icône de Notre-Dame de Soufanieh sur l'Evangile. Bien que très sceptique, j'accomplis ce geste. Et, à 22 h, ce 24 janvier, je vis soudain suinter l'icône de façon si abondante que des gouttes d'huile tombaient à terre."

L'évêque du lieu a été prévenu.

Le vendredi soir, en la fête de l'Annonciation, la nouvelle se répand par la voie des ondes dans Damas : l'icône de Marie Abraham a, dans l'après-midi, laissé sourdre une abondante quantité d'huile. Des religieuses de plusieurs congrégations se rendent sur les lieux pour la recueillir.

*

Le 26 mars au soir, de retour à Damas, je passe à Soufanieh. Mais Myrna, Nicolas et Myriam sont aux Etats-Unis, où ils ont été invités par le Docteur Mansour, l'un des médecins du président Reagan, ami fidèle et convaincu de l'authenticité de Soufanieh. Durant ce voyage, Myrna eut une extase pendant laquelle elle reçoit un message. Et l'huile suinte plusieurs fois, sur ses mains comme sur de nombreuses reproductions de Notre-Dame de Soufanieh, dans plusieurs maisons et églises. C'est aussi pendant ce voyage aux Etats-Unis qu'a lieu la naissance de Jean Emmanuel, le fils Myrna et Nicolas.

Saydnaya ou le "Parfum de Marie"

Le samedi 29 mars 1988, je décide de rendre visite à la Vierge dans un de ses lieux de prédilection, à Saydnaya, village situé à environ 40 km de Damas. Un ami du P. Zahlaoui m'y emmene en voiture. Sur la route, dans une zone désertique et sous un ciel merveilleusement bleu, nous aperçevons soudain un splendide arc-en-ciel, étonnamment lumineux et proche, bien différent de ceux qu'on a coutume de voir. Ses couleurs sont éclatantes et nous avons l'impression que nous pourrions presque le toucher.

Puis nous arrivons près d'une belle et haute colline, au pied de laquelle nous découvrons le village de Saydnaya. Le couvent orthodoxe de Saydnaya renferme l'une des quatre icônes de la Vierge que la tradition dit peintes par l'évangéliste saint Luc lui-même. Celle-ci est désignée sous le nom de "Al Chahoura", c'est-à-dire l'Illustre, la très célèbre ou la plus connue. Le couvent renferme aussi plusieurs autres précieuses icônes de la Vierge et des saints, datant des premiers siècles du christianisme. Il dépend directement du Patriarcat d'Antioche et comprend une cinquantaine de religieuses. Au moment où l'une d'elles nous reçoit, une bourrasque d'une rare intensité se déchaîne, accompagnée de rafales de pluies et de giboulées.

La religieuse nous conduit vers une petite chapelle ronde où se trouve la vénérable icône, nous invitant à nous déchausser avant d'entrer, comme c'est souvent la coutume au Proche-Orient. La pièce est dans une demi-pénombre. Dans une intense atmosphère de silence, de majesté et de paix, quelques cierges se reflétent en une légère clarté sur les murs et sur l'autel.

Je me mets à genoux pour prier. C'est alors que je perçois une odeur si agréable et si pénétrante qu'il me semble que l'on venait de répandre volontairement un parfum d'une extrême suavité en ce lieu. La qualité de cette fragrance est si exceptionnelle qu'elle capte toute mon attention. Je cherche à en détecter l'origine en humant dans toutes les directions. Puis je demande à mon compagnon : "Sens-tu ce parfum ?" - "Ca sent très bon, en effet, me dit-il, mais je ne sais pas d'où cela vient."

A cet instant, je vois, à l'intérieur d'une niche murale protégée par un grillage métallique, une petite icône de métal représentant la Vierge Marie et l'Enfant Jésus. Du bout des doigts, je frôle l'icône : ils s'imprègnent aussitôt de ce merveilleux parfum. J'incite mon compagnon à toucher lui aussi l'icône, et ce grand jeune homme robuste tombe à genoux, abasourdi et pleurant de joie.

La religieuse, interrogée, me dit que ce genre de phénomène s'est parfois produit, mais très rarement.

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L'esprit de Soufanieh ne cesse plus d'imprégner ma vie. J'entretiens avec le Père Elie, témoin privilégié et principal des événements de Soufanieh, une correspondance régulière. Il nous fait la joie de venir une nouvelle fois à Espalion, en avril 1989. Au cours de son bref séjour, nous allons à Marvejols, ville de Lozère située à une soixantaine de km d'Espalion, rendre visite à une amie, Nicole.

Durant le trajet, j'ai envie de confier au Père Elie un secret douloureux qui me tenaille depuis vingt-cinq ans. En cette après-midi printanière, la traversée du magnifique plateau de l'Aubrac, la pureté du ciel, les prairies qui se couvrent de fleurs après le long hivernage, les boqueteaux de hêtres, les ruisseaux tour à tour torrentueux ou nonchalants, apportent tant de douceur paisible que mon appréhension devant une confidence si pénible se change en une surprenante sérénité. Pourtant, je n'arrive à proférer que quelques propos hachés et les kilomètres défilent sans que je sois parvenu à m'exprimer.

A Marvejols, Nicole nous attend avec un groupe d'amis. Le Père Elie invite l'assistance à réciter le chapelet devant l'icône de Notre-Dame de Soufanieh puis brosse un tableau résumé des derniers événements de Soufanieh, devant un auditoire silencieux et attentif :

« A Damas, dans la demeure de Myrna, la prière est régulière et quotidienne, et a lieu dans la plus grande simplicité. Chrétiens et musulmans se côtoient souvent pour se prosterner devant la Madone de Soufanieh. Une Association mariale du Liban a invité Myrna, Nicolas et leur fille Myriam en octobre dernier; leur séjour a été une suite ininterrompue de rencontres de prières dans des églises ou des maisons, au cours desquelles l'huile est fréquemment apparue en abondance sur les mains de Myrna.

« Le 10 octobre, après la messe, elle a eu une extase alors qu'elle priait à genoux au pied du crucifix, et l'huile se mit à exsuder des pieds du crucifié, tombant goutte à goutte sur le visage de Myrna.

« A l'issue de cette extase, la jeune femme déclara avoir vu une lumière au centre de laquelle elle apercevait une forme humaine, d'où le son d'une voix émanait :

« Ma fille Myrna, pourquoi as-tu peur, alors que je suis avec toi ? Tu dois dire, d'une voix haute, le mot Vérité sur celui qui t'a créée, afin que ma force se manifeste en toi. Et moi, je te donnerai de mes blessures, de quoi oublier les souffrance que les gens te causent. Ne choisis pas ta route, car c'est moi qui te l'ai tracée. »

De nombreuses questions sont ensuite posées au Père Elie sur la personnalité de Myrna, sa vie de famille, la profession de son mari, leur évolution spirituelle, les difficultés et les polémiques que tous ces événements suscitent dans un pays à majorité musulmane. Le Père Elie, visiblement heureux de l'intérêt de l'assistance, répond avec précision à chaque question. Il explique aussi qu'Alep est devenue un sorte de prolongement de Soufanieh depuis que, le 24 janvier de l'année précédente a eu lieu une première effusion d'huile émanant d'une reproduction de l'icône de Soufanieh dans la maison de Marie Manuellian, à Sleimanié, et que voici six mois, une effusion d'huile s'est aussi produite dans une autre maison arménienne du même quartier. Dans ces deux maisons, elles aussi, la prière s'est organisée régulièrement, sans que soit jamais acceptée la moindre participation financière.

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Mais il nous faut rentrer à Espalion. Au moment du départ, une dame d'une soixantaine d'années, que je n'ai jamais rencontrée, glissa dans ma poche un petit fascicule de quatre pages, dont j'ignore le contenu.

Le lendemain, le Père Elie nous quitte, et je reprends la route d'Antibes. C'est là qu’une fois seul, je prends le temps de lire le fascicule reçu à Marvejols. Je reste alors pantois devant la réponse à l'interrogation que je traîne secrètement depuis 25 ans et dont je n’ai pu parler en route avec le Père Elie. Or la dame qui m'a remis le fascicule ne connaissait ni le Père Elie, ni moi, ni aucun de mes proches.

Un mois plus tard, j'ai la possibilité de contacter cette personne et de lui demander pourquoi elle m'a remis le fascicule : « J'ai senti que la Sainte Vierge voulait que je le fasse », répond-elle sans hésiter.

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En mai 1989, à l’occasion de la Pentecôte, je participe à une retraite au monastère de l’île Saint-Honorat, ou j’aime d’ailleurs m’y rendre de temps à autres pour la messe pour retrouver à la fois le silence et le magnifique chant des moines, la présence presque tangible de Dieu.

Or, pendant cette retraite, j’ai la surprise de déjeuner à côté de l’acteur Michaël Lonsdale. Cette occasion me permet d’échanger avec lui des propos forts intéressants sur la foi, mais aussi sur les drames du Liban et du Proche-Orient.

Comme je lui fais part de mon projet cinématographique, il se dit intéressé et me laisse ses coordonnées à Paris pour une éventuelle rencontre.

En 1989, le Congrès National des Pharmaciens français se tient à Cannes. C’est là que je rencontre sur la Croisette, le célèbre journaliste d’Antenne 2, Jean-Pierre Elkabache. Sans lui avoir jamais été présenté, je l’aborde en ces termes : « Je m’excuse de vous importuner alors que vous ne me connaissez pas. Je suis d’origine syrienne et j’œuvre depuis longtemps en faveur de la paix au Proche-Orient. De surcroît, j’ai un témoignage qui me paraît important et qui mérite d’être connu. Vous pouvez comprendre que je ne peux en quelques secondes vous en expliquer l’intérêt. Après m’avoir écouté attentivement, M. Elkabache me déclare : « Quand votre manuscrit sera achevé, venez me voir à Paris, et je vous aiderai. »

 

Ces deux rencontres furent pour moi d’un grand encouragement.

Chapitre 3 – L’ineffable parfum

Le 4 avril 1990, ma femme, moi-même et nos trois enfants embarquons à bord d'un Airbus d'Air France pour célébrer en Syrie la Fête de Pâques qui, cette année, comme en 1987, a lieu le même jour pour les catholiques et les orthodoxes. Le lendemain, jeudi, vers 10 heures, nous sommes tous à Soufanieh, où Myrna et sa maman nous accueillent avec chaleur et simplicité.

Le surlendemain, par un temps lumineux, nous nous rendons en voiture à Saydnaya, par une route autrefois empruntée par l'empereur de Byzance, Justinien Ier, lorsqu'il traversait la Syrie pour aller attaquer les Perses. On raconte qu'à un moment, les troupes s'étant arrêtées pour se reposer et se désaltérer, l'empereur s'en écarta. Tout-à-coup, il aperçut une magnifique gazelle. Pris d'une irrésistible envie de la chasser, il la poursuivit longtemps, jusqu'à ce qu'elle s'arrêtât sur une colline rocheuse. Elle semblait attendre l'empereur, puis se dirigea près d'une source. Là, soudain transformée, elle apparut sous la forme d'une icône de la Vierge, et la main de la Vierge se tendit vers l'empereur tandis qu'il entendait ces mots : « Non, tu ne m'abattras pas, Justinien, mais tu construiras une église pour moi sur cette colline. » Puis la vision disparut.

Justinien ordonna rapidement à ses architectes d'établir un plan. Ceux-ci n'arrivant pas à en réaliser un conforme à ses désirs, la gazelle apparut une seconde fois et dessina les plans. Ce sont ces plans qui furent alors utilisés pour la construction de l'église primitive, qui conserve encore de nos jours sa grandeur et sa beauté originelles de style byzantin.

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Au couvent de Saydnaya, nous sommes reçus par la Supérieure elle-même, ce qui est un honneur et un privilège. De cette femme d'environ soixante-dix ans, tout de noir vêtu, émane un mélange de gravité et de tendresse qui lui donne une grande majesté. Ses paroles reflètent douceur, sérénité et une immense confiance en la Vierge. Et tandis qu'elle nous retrace l'histoire séculaire du monastère et de la protection que lui accorde la Vierge, je m'explique sans peine l'intense rayonnement spirituel de cette femme dont on m'a dit qu'il s'exerce sur toute la région.

Elle nous fait entrer dans un salon typiquement oriental et fait servir quelques rafraîchissements. Puis elle nous distribue du pain béni, selon la tradition en usage chez les orthodoxes, en ce samedi, veille des Rameaux.

De mon côté, je lui fais une courte rétrospective de la faveur dont j'ai été l'objet, voilà tout juste deux ans, dans le sanctuaire tout proche. Elle ne montre aucun étonnement. Quand j'ai fini, elle reprend, tournant son regard vers ma femme assise près de moi : "Dis bien ceci à ta femme : le monde agit et continue à agir comme si n'existait pas au dessus de sa tête le spectre de la mort."

Ces mots sont dits avec une solennelle assurance, non comme un propos alarmiste ou menaçant, mais comme une constatation d'évidence de l'inconscience et de l'irresponsabilité des hommes. A ma grande surprise, loin de réagir fortement à ces propos, Geneviève les accepte avec simplicité.

Se tournant ensuite vers les enfants, la supérieure leur explique la signification du mot Saydnaya. Il provient de deux mots syriaques, Naya : notre, et Sayda : Dame. Mais une autre étymologie le rattache à l'histoire de Justinien, Seid signifiant chasse et Naya pouvant signifier lieux, donc : lieu de chasse.

Le Sanctuaire qui renferme l'icône sainte a été construit, pense-t-on, vers 547 après Jésus-Christ, en même temps qu'une bibliothèque, riche de nombreux et précieux manuscrits, qui permettent justement de dater l'époque de la construction. Ce lieu est considéré comme le second après Jérusalem parmi tous les sanctuaires sacrés de l'Orient. Sa renommée n'a cessé de grandir pendant ces quinze siècles au cours desquels la Vierge y a prodigué régulièrement des miracles en faveur de nombreuses personnes sans distinction de race ou de religion.

Quant à l'icône miraculeuse, on pense qu'elle a été introduite bien après la construction du sanctuaire par un moine étranger, probablement grec, qui traversait la Syrie pour se rendre sur les lieux saints. Lors de son passage, à l'aller, le monastère l'avait chargé de lui acheter à Jérusalem une précieuse icône de la Sainte Vierge. Le moine s'acquitta de cette mission et se mit en demeure de rapporter l'icône à Saydnaya. En chemin son convoi fut attaqué, d'abord par des bêtes féroces, puis par des bandits. Face à ces dangers, il invoqua chaque fois l'aide de celle dont il portait l'image vénérable. Et il échappa chaque fois au péril, bénissant celle qui l'avait protégé.

Arrivé au couvent de Saydnaya, il prétendit n'avoir pu acheter l'icône promise. Mais, lorsqu'il voulut se remettre en route, il sentit une force irrésistible l'immobiliser. Après plusieurs tentatives inutiles pour se mettre debout et partir, il remit l'icône à la Supérieure, lui avouant qu'il avait essayé de la conserver, tellement il avait apprécié la puissance miraculeuse de ses bienfaits durant son voyage.

Depuis ce moment, la "Chahoura" est devenue objet de vénération pour tout le monde. Le 8 septembre notamment, fête de la Nativité de la Vierge, au long des siècles des dizaines de milliers de chrétiens et de musulmans sont venus chaque année lui rendre grâces et la prier.

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L'entretien terminé, la Religieuse nous fait conduire au sanctuaire où se trouve l'icône miraculeuse, éclairée uniquement par la lueur des cierges, dans cette atmosphère de silence et de recueillement que j'ai tant appréciée deux ans auparavant. Mais, cette fois, il ne se produit rien de particulier.

Lorsque nous quittons le sanctuaire, la Soeur vient nous saluer. Elle nous montre, sur l'escalier que nous descendons, le contour d'un visage qu'y dessine depuis fort longtemps une grosse tache d'huile. La tradition se plaît à y reconnaître le visage de la Vierge, si bien que la piété l'a fait protéger par un grillage. La supérieure nous raconte qu'autrefois, une femme musulmane en grande détresse, avait fait un vœu à la Vierge. Ayant été exaucée, elle s'empressa, malgré sa pauvreté, de venir remercier Marie en lui apportant une "tanaké" (bidon de 20 litres) d'huile d'olive. Fatiguée par ce lourd fardeau qu'elle portait sur ses épaules, elle s'arrêta au milieu de l'escalier et posa le bidon sur une marche. Quand elle le reprit, un instant après, la trace d'un visage beau et pur s'était incrusté dans la pierre.

La Supérieure nous rapporte aussi qu'un jour de fête, en présence de toutes les religieuses, l'huile s'est écoulée de l'icône ancienne avec une telle abondance que les dalles du sanctuaire en avaient été recouvertes.

Vers midi, nous reprenons la direction du désert, vers Maaloula, autre village syrien, situé dans les montagnes de Kalamoun, et berceau d'une civilisation unique au monde.

Maaloula, en araméen, veut dire "entrée". Cette dénomination est due à la situation naturelle du village à l'entrée d'un défilé, avec une fente impressionnante qui coupe la montagne en deux et forme une gorge extrêmement pittoresque. On raconte, à propos de ce site, une légende qui se rattache à l'histoire de sainte Thécle, première martyre chrétienne. Convertie au christianisme par la prédication de saint Paul, Thècle avait été persécutée par ses propres parents et pourchassée par les soldats du gouverneur romain, qui voulaient la mettre à mort. Au cours de sa fuite, elle se trouva face à une montagne abrupte et sans issue. Elle pria Dieu de la sauver et la montagne se fendit, lui permettant de poursuivre sa fuite et de trouver un abri inespéré. Un couvent fut ensuite érigé par la communauté byzantine en mémoire de cette grande sainte de l'antiquité chrétienne.

Se dirigeant vers Maaloula, notre voiture escalade tout d'abord péniblement la route escarpée qui conduit à l'une des plus anciennes églises du monde, l'église Saint-Serge. La région comprend de nombreuses grottes et cavernes; la plupart d'entre elles sont naturelles mais d'autres ont été creusées ou aménagées en habitations troglodytes.

L'une d'elles est dite grotte "du curé Yousef" (Joseph, en arabe). Sur l'une de ses parois, on a retrouvé une inscription datée de 175 avant Jésus-Christ, indiquant qu'elle avait été creusée à cette époque pour servir de lieu de culte. Par la suite, elle a été transformée en sanctuaire chrétien. Sur la paroi septentrionale, on peut encore voir une effigie de la Vierge portant l'Enfant Jésus, taillée à même le roc, y compris les auréoles.

Le village de Maaloula se trouve perché, tel un nid d'aigle, à 1 650 m d'altitude. Notre voiture se gara face au couvent Deir-Sarkis (Saint-Serge). Un prêtre syriaque d'une cinquantaine d'années, vêtu de noir, le Père Michel Zaaroura fut heureux et fier de nous accueillir dans cet antique édifice où il vit comme un ermite. Il parlait bien le français et nous apprit que les archéologues ont pu prouver, à partir de l'étude scientifique des poutres, que l'église a été construite au début du IVe siècle. Passionné par le riche passé historique et sacré de ce sanctuaire, il le relatait avec enthousiasme aux visiteurs et aux pèlerins.

Saint Serge et saint Bacchus sont deux officiers romains d'origine syrienne martyrisés sous l'empereur Maximin en 297. D'après les historiens, le couvent et l'église ont probablement été construits entre 313, date de l'Edit de Milan conférant la liberté religieuse aux citoyens de l'empire romain, et 325, date de convocation du Ier Concile de Nicée. Les chrétiens qui habitaient les cavernes environnantes ont dû vraisemblablement démolir le temple païen dédié à Apollon pour construire sur son emplacement le couvent et l'église Saint-Serge.

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Après cette visite, le Père Michel nous emmène dans une autre église, dont la forme des autels est unique au monde : la table de pierre du maître-autel est creuse, taillée en demi-cercle, avec un rebord saillant vertical d'environ sept centimètres. La table de l'autel septentrional, dédié à la Vierge, est rectangulaire mais, elle aussi, creuse avec un rebord de quatre centimètres. Tous deux ressemblent aux autels de l'antiquité païenne, avec deux différences notables cependant : ils ne comportent pas d'orifice ni de canalisation interne pour permettre l'écoulement du sang sacrificiel; ils ne comportent pas non plus, sur le rebord en saillie, de représentation gravée d'animaux déclarés purs, qui seuls pouvaient être sacrifiés aux dieux.

Le Père Michel nous rappelle l'importance que Maaloula a eu sur le plan religieux depuis l'époque chrétienne la plus reculée : elle a été siège épiscopal jusqu'au début du XIXe siècle, avant d'être rattachée au siège patriarcal de Damas. De nombreux évêques de Maaloula ont participé aux travaux des conciles oecuméniques. Nous sommes ainsi plongés dans la grande période de l’histoire de l’Eglise d’Orient, à cette époque où elle rayonnait de toute sa gloire et où les Pères de l’Eglise saint Grégoire de Nysse, saint Basile, saint Jean Chrysostome, et bien d’autres ainsi que les conciles oecuméniques élaboraient les solides fondements de la théologie chrétienne, avant que ne vienne, à partir de 636, la vague déferlante de l’Islam.

La visite terminée, nous reprenons la route pour Alep, où nous arrivons en fin d'après-midi pour une longue soirée de retrouvailles avec mon père.

 

 

Chapitre 4 – Annonciations…

Le lendemain, j’ai un autre rendez-vous, cette fois chez Mariette. C’est grâce au Père Maani, prêtre bien connu d’Alep ou il exerce son sacerdoce depuis 40 ans que cette rencontre a lieu. Il fait déjà nuit quand j'arrive. Tout de suite à droite de l'entrée de l'appartement, au troisième étage, une pièce d'environ 10 m2 a été aménagée en lieu de prière. Pour y pénétrer, on est invité à se déchausser. L'ambiance incite au recueillement. Le Père Mâni est déjà là. Mariette vient à ma rencontre avec un sourire enfantin qui contraste avec son aspect de femme adulte. Son allure, ses réparties, son rire spontané me laissent au début un peu perplexe. Mais très vite je me rends compte que cette attitude est très naturelle, qu'elle ne fait que refléter la simplicité d'une âme sans apprêt et sans calculs. Il était environ 20 heures quand une jeune femme sonne à la porte, et vint de joindre au groupe de prière. Cette jeune et belle syrienne se prénomment Claude. Ingénieur de profession, elle s'intéresse aussi aux événements survenus chez Mariette. Elle envisage la vie religieuse, précisant que c'est la réponse personnelle qu'elle apporte à l'un des quatre messages confiés par le Christ à Mariette.

Quelques minutes plus tard arrive une autre jeune fille, aussi radieuse que Claude. Elle s'appelle Rosine et était, elle aussi, ingénieur. En fait, elles sont trois à suivre de très près les événements concernant Mariette, venant prier et consignant par écrit tout ce qu'elles voient et entendent au cours de ces réunions. Et toutes trois ont l'intention d'entrer au Carmel d’Alep. Leur joie est rayonnante quand elles parlent du Christ ou de la Vierge.

Le lendemain, 12 avril, est le Jeudi-Saint. J'ai repris le chemin de Damas pour rejoindre Myrna. En effet, je gardele souvenir précis que, ce jour-là, trois ans plus tôt, elle a été stigmatisée sous mes yeux. Je pressens que quelque chose va survenir. Mon espoir se fonde sur le fait que la Pâque catholique et la Pâque orthodoxe coïncident cette année, et que cette conjoncture ne se renouvelle pas avant l'an 2001. Or ce symbole d'unité dans la célébration de la Pâque m'apparaît primordial car, dans ses messages communiqués à Myrna, le Seigneur a insisté à plusieurs reprises sur l'unité des chrétiens.

Mon ami Abed m'a prêté sa voiture et son fils Jehad m'accompagne. Lorsque nous arrivons à Soufanieh, vers 13 heures, Myrna est à nouveau stigmatisé et, comme à l'accoutumée, une foule nombreuse prie devant l'icône sainte. Seule, une vingtaine de personnes peuvent avoir accès à la chambre où Myrna, étendue sur son lit, parait énormément souffrir. C’est la quatrième fois en huit ans que Myrna participe en son corps à la Passion du Christ.

Treize pèlerins français sont présents. Parmi eux, le docteur Philippe Loron, neurologue à l'Hôpital de la Salpétrière, à Paris. Je me fraie un chemin jusqu'à la chambre de Myrna..

Devant cette scène, où je me trouve directement confronté au difficile problème de la souffrance, je crois avoir compris, dans un esprit d'humilité, la signification symbolique de cette stigmatisation. C'est un peu comme si j'entendais le Christ me dire : « Voici une représentation réduite de ce que j'ai enduré pour toi. »

Des caméras et des appareils photos sont, comme à l'habitude, braqués sur Myrna. Celle-ci m'a précédemment confié à propos de ce qui lui arrivait : « Je n'ai rien choisi mais j'accepte tout librement, car cela vient du Christ. »

Dès qu'il me voit, le Père Maloûli m'accueille cordialement. Puis il me demande de bien vouloir mesurer la plaie thoracique, comme le Père Zahlaoui l’a demandé à Geneviève un an auparavant. Un caméraman oriente alors sa caméra vers moi, mais je lui exprime poliment mon refus d'être filmé. Cela me parait inopportun.

Je me penche alors vers Myrna, l'embrassai et lui adresse quelques mots de réconfort. Elle ébauche un sourire et je lui demande la permission de mesurer la plaie de son côté. Comme en 1987, cette plaie est peu profonde, fine et longue, d'environ 12 cm. Du sang a imbibé le vêtement de Myrna.

Le Père Elie, présent lui aussi, est en prière, tellement absorbé qu'il n'a pas remarqué ma présence. Je le laisse au milieu de la foule pour aller à la rencontre du Docteur Mansour, l'un des médecins du président Reagan, qui est là avec son épouse et ses deux filles. Nous nous connaissons sans nous être jamais rencontrés. C’est pour nous l'occasion d'un échange chaleureux et amical. Nous n'avons envie ni l'un ni l'autre de commenter ce qui nous est donné de voir, et c'est d'un même élan simultané que ces simples mots jaillissent de nos lèvres : « Dieu est vraiment grand ! »

Un peu plus tard, le Père Elie m'accueille à bras ouverts et me dit :  « Tu sais, Jean-Claude, cette fois le Seigneur nous a pris de court. Nous nous attendions à une manifestation semblable à celle de 1987, et nous pensions donc que, si les phénomènes survenaient, ils auraient lieu vers 15 heures.

- Tu vois, Père, je suppose que cette avance de quatre heures sur l'horaire présumé montre que finalement, c'est Dieu qui détient la clé de tous les mystères et de tout ce qui advient à chacun de nous. »

Quelques instants plus tard, je retourne vers Myrna et elle me fait signe de m'asseoir près d'elle. Nombreuses sont les personnes qui s'approchent d'elle pour l'embrasser et la féliciter de cette nouvelle grâce qui lui est accordée. Je sens bien que, malgré les bonnes intentions de tous ces témoignages, ce défilé incessant pèse à Myrna. Je lui en fais part et son sourire montre que j'ai touché un point sensible. Elle me dit : « Toi, au moins, tu me comprends ! » Je ne lui parla qu'assez peu. Elle me demande des nouvelles de Geneviève et des enfants. Puis je la quitte en lui promettant de prier pour elle et pour qu'elle tienne bon dans l'épreuve.

La visite à Soufanieh a marqué Jehad, mon jeune compagnon. Il m'en parle avec sérieux et respect, tout en m'avouant que certaines choses le gênent et qu'il souhaite les aborder avec moi.

Le lendemain matin, nous assistons à la messe du Vendredi Saint. Puis, au petit déjeuner, nous rejoignons un groupe de Français pour faire leur connaissance.

Parmi eux, le docteur Loron semble très ému et impressionné par ce qu'il avu la veille. Il nous fait une description très précise des événements. D'après lui, la stigmatisation de Myrna a été vécue en trois étapes, qu'il nous décrit :

« - Peu après onze heures, cinq plaies verticales sont apparues sur le front et ont entraîné un écoulement de sang en nappe sur le visage.

« - Deux heures plus tard, il y a eu simultanément ouvertures des stigmates des mains et des pieds.

« - Cinq minutes plus tard, la plaie du côté a pu être observée, mais le sang qui en sourd à cet instant précis n'était pas rouge vif. L'ouverture de cette plaie s'est donc déjà produite avant qu'on ne l'observe. Elle est peu profonde, fine et longue.

« Le comportement de Myrna donne à voir qu'elle souffrait, surtout au moment de l'ouverture des stigmates. Quand les douleurs paraissent s'atténuer, elle est si épuisée qu'elle doit rester allongée.

Puis le docteur Loron¹ poursuit :

« La participation aux souffrances de la Passion du Christ est donc plus nette cette année qu'en 1987. Je n'ai noté aucun comportement de type hystérique, épileptique ou cataleptique. Il faut bien noter qu'il ne s'agit que d'une participation à la Passion, car, en aucun cas, l'emplacement anatomique des plaies du Christ n'est respectée (...). Ainsi, les plaies de Myrna sont dans la paume des mains, alors que les plaies des mains du Christ n'auraient pu être dans les paumes, comme l'a démontré le docteur Barbet, mais bien dans les poignets : sans cela, les clous n'auraient pas pu assurer le maintien du Crucifié sur la croix.

« De même, la plaie au côté du Christ ne dépasse pas cinq centimètres de long puisqu'elle a été provoquée par un coup de lance porté après la mort, et donc sans souffrance, et cette plaie du Christ est située à droite et non à gauche.

« Ceci n'a pas une importance fondamentale. Antoine Legrand, dans son ouvrage sur le Linceul de Turin, cite le cas de la stigmatisée voyante Thérèse Neumann, qui avait bien des stigmates dans les paumes, mais qui, pendant son extase, disait voir les clous enfoncés dans les poignets du Christ.

« Aucune explication se basant sur la psychologie ne peut être proposée sérieusement, et on peut ajouter que les stigmates ne conditionnent pas les visions, et réciproquement.

« Chez Myrna, les plaies des mains et des pieds ne s'ouvrent que sur une seule face. Elles ne recouvrent pas non plus la réalité anatomique d'un enclouage de part en part.

« Des thèses de conditionnement psychologiques et de projection mentale ont été avancés dans le cas de personnalités plus ou moins névrosées. Ceci n'est pas une explication suffisante, ou bien alors la psychologie aurait bon dos. Chez Myrna, une turgescence se produit avant la rupture des vaisseaux sanguins. Et l'examen médical de la plaie confirme que l'ouverture se fait de l'intérieur, et non de l'extérieur : tout se passe comme si la chair explosait.

« La cohérence de l'observation exige de tenir compte de ce que rapporte Myrna lors de ses souffrances. En un tel moment, elle s'adresse directement à Jésus et semble réellement participer à la Passion. »

Le dimanche après avoir assisté à la messe à la cathédrale latine d'Alep, nous allons à l'hôpital Saint-Louis rencontrer les religieuses de Saint-Joseph, fières de nous rappeler que leur congrégation a été fondée en 1832 par sainte Emilie de Vialar, à Gaillac, dans le Tarn, et que, dès 1855, à la demande de Mgr Brunôni, délégué apostolique de Syrie, Mère Emilie envoyait trois Sœurs ouvrir une maison d'éducation à Alep, qui devenait ainsi l'une de ses premières fondations hors de France.

Après un voyage difficile, c'est dénué de tout que les Sœurs étaient arrivées à Alep. Vivant dans une grande pauvreté mais bien accueillies de la population, elles avaient ouvert deux écoles gratuites puis s'étaient mises à visiter les malades à domicile.

En 1862, elles peuvent ouvrir un dispensaire où elles soignent des milliers de malades de toutes nationalités et de toutes religions. Puis vers 1880, elles ouvrent un hôpital, qui se révèle très vite trop petit. Les Sœurs entreprennent la construction de l'actuel hôpital Saint-Louis mais les difficultés s'accumulent et il ne peut être terminé qu’en 1919, après la guerre.

Pourtant, déjà de nombreux réfugiés et malades y avaient été accueillis. Après la guerre, deux médecins français, en particulier, le Docteur Chevalier, puis le Docteur Fruchaud, marquent l'hôpital par leur honnêteté et leur grande compétence, qui attirent les malades de tous les pays arabes. Tous y sont accueillis sans distinction de rite ou de pays.

C'est dans cet hôpital que j'ai été soigné, à l'âge de dix ans, lorsque, atteint de la typhoïde, j'ai failli mourir. Je retrouve la chambre où j'ai séjourné quarante ans plus tôt. Rien n'a changé, la propreté et la qualité des soins est toujours exemplaire.

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De la rose à l’olivier, de Mariette à Notre-Dame de Soufanieh, l’idée de comprendre et de scruter le secret des huiles essentielles me pousse à participer à de nombreuses conférences relatives à l’aromathérapie.

Cette nouvelle branche médicale va me permettre, durant toute une décennie, de mettre au service de nombreux malades, des traitements aromatique appropriés qui s’avèrent d’une grande efficacité, et qui de surcroît sont dépourvus de toute toxicité.